Et si tout cela avait été calculé? Si l'idée de lancer sur le Québec cette grenade qu'est la Charte des valeurs n'était qu'un plan pour permettre au PQ d'obtenir un gouvernement majoritaire?

Nul doute que le gouvernement se penche actuellement sur des sondages internes pointus, histoire de prévoir combien de gains un appel aux passions nationalistes viscérales pourrait lui rapporter.

Et tant pis si une telle campagne se faisait sur le dos des immigrés et des minorités religieuses, et tant pis si elle dressait le reste du Québec contre Montréal... Le PQ n'a guère de votes à gagner dans la métropole.

Si la «majorité silencieuse» le suit, le gouvernement ira en élections début décembre en se présentant comme le champion du «peuple» face aux «élites».

La tactique populiste du «wedge politics», soit l'exploitation des divisions sur un enjeu émotionnel, a souvent été pratiquée ces dernières années, mais en dehors des partis d'extrême droite européens, on n'a pas d'exemple récent de campagne électorale pratiquée sur le dos des minorités - une abomination dans une société démocratique.

La stratégie est cohérente avec la démarche de Jean-François Lisée, le stratège le plus brillant du PQ, lequel est probablement le maître d'oeuvre du projet orchestré autour de la charte.

Pourquoi, en effet, cette loi inutile qui ne repose que sur le vague «malaise» qu'évoque le ministre Drainville? Parce que le PQ avait promis d' «agir» ? Allons donc! Tous les gouvernements brisent des promesses. La disposition centrale de la charte (l'interdiction des signes religieux) ne sera même pas complètement appliquée là où sévirait la «crise» inventée par le PQ, puisque la seule région cosmopolite du Québec y échappera en partie grâce au droit de retrait.

L'unique utilité de la charte sera de servir de thème électoral à un gouvernement qui, après une année de gestion calamiteuse, n'en aura aucun autre.

Si en plus Ottawa s'interpose en contestant la constitutionnalité de la charte, ce sera encore mieux! L'opposition des «Canadians» renforcera la mentalité de camp retranché qui prévaut dans bien des milieux.

Il y a des années que M. Lisée pilote une stratégie identitaire axée sur le «nous», ce «nous» impliquant par définition l'opposition aux «autres».

Depuis longtemps partisan d'une laïcité fermée et de la hiérarchisation des droits (deux caractéristiques fondamentales de la charte), M. Lisée a déjà soutenu que les néo-Québécois devraient être privés de leurs droits politiques si leur connaissance du français et de la culture québécoise n'était pas suffisante.

Dans un dossier percutant de L'actualité, il a élevé la barre des exigences envers les anglophones. Naguère, on leur demandait d'apprendre le français. Ils l'ont fait. Mais pour M. Lisée, cela ne suffit plus pour les reconnaître comme de vrais Québécois: il faut désormais qu'ils adoptent la culture «canadienne-française», qu'ils connaissent Marie-Mai autant que Rufus Wainwright, qu'ils parlent le moins possible leur langue maternelle et qu'ils participent au combat pour le français avec l'enthousiasme de la SSJB.

Cette campagne pernicieuse, conjuguée à la politique linguistique inutilement répressive du gouvernement Marois, a définitivement convaincu nombre de jeunes «anglos» qu'ils n'ont pas de place au Québec.

La charte pourrait priver le Québec des immigrants dont il a besoin et faire fuir les plus qualifiés? La charte pourrait détourner à jamais les minorités de la souveraineté?

Pour le PQ, c'est sans importance, car il est évident qu'il n'y aura jamais beaucoup de «oui» à aller chercher chez les néo-Québécois. Une vague de départs pourrait au contraire favoriser l'accès à la souveraineté.

Machiavel ne saurait mieux dire.