On s'étourdirait à tenter de suivre la trajectoire de François Legault. Le chef caquiste lance à l'improviste des idées qui ne sont pas sans intérêt, mais qu'il oublie ensuite, comme s'il n'était pas nécessaire à un chef politique d'avoir de la suite dans les idées.

Tantôt il sort de son chapeau le projet d'une «vallée de l'innovation» dont on n'entendra plus jamais parler, tantôt il propose trois amendements au projet de loi linguistique pour ensuite rajouter inopinément quatre autres exigences, tantôt il sort de la semi-clandestinité où il s'est réfugié depuis les élections pour proposer... la diminution du nombre de conseillers à Montréal!

Mars. Grosse annonce: la CAQ veut faire de la vallée du Saint-Laurent rien de moins que l'équivalent de la Silicon Valley!

À première vue, cela ressemble plutôt à un projet de décontamination des terres aux frais de l'État, sans compter que le réalisme élémentaire commanderait de concentrer le développement scientifique à Montréal plutôt qu'en suivant la ligne du fleuve. Mais bon, le projet est lancé. Trois mois plus tard, le site web de la CAQ ne contient toujours rien de plus étoffé, à ce sujet, qu'une «fiche d'information» qui compte moins de 30 lignes!

Avril. Une commission parlementaire étudie le projet de loi 14 qui veut renforcer la loi 101. La CAQ exige trois amendements concernant le statut bilingue des villes, les privilèges accordés aux enfants de militaires et l'extension de la loi aux petites entreprises.

Au moment où la ministre De Courcy, de guerre lasse, laisse entendre qu'elle acceptera ces amendements, M. Legault rajoute tout à coup quatre nouvelles exigences à la liste, concernant notamment l'accès aux cégeps et les droits des minorités.

En fait, ces exigences sont fort légitimes, certaines découlant en droite ligne du mémoire très perspicace du Barreau du Québec. Mais outre que ce n'est pas une façon normale de négocier, comment se fait-il que la CAQ n'avait pas elle-même remarqué ces anomalies? Cela ne fait pas sérieux. Quelqu'un, à la CAQ, avait-il lu le projet de loi? La CAQ aurait dû étudier le texte par le menu dès le départ, et établir sa position avant la commission parlementaire.

Mai. Après avoir écarté péremptoirement, et à plusieurs reprises, l'idée de revoir les structures de Montréal, voilà-t-il pas que M. Legault fait un gros virage en U et propose ce qu'il appelle un peu pompeusement un grand projet de relance de la métropole. Hélas, la montagne accouche d'une souris: diminution du nombre d'arrondissements et des postes de conseillers, maires d'arrondissement transformés en présidents...

Encore ici, ces propositions n'ont rien de farfelu, au contraire. La métropole est surgouvernée. Mais à qui fera-t-on croire que de tels changements suffiraient à «relancer» Montréal? Et pourquoi M. Legault n'y a-t-il pas pensé plus tôt?

On a l'impression qu'il y a à la CAQ un gros déficit de réflexion et que le chef ne sait plus quoi dire, maintenant que le principal cheval de bataille (l'intégrité) qu'enfourchait Jacques Duchesneau est allé galoper sur les terres des autres partis, qui l'ont prestement capturé.

Cette désorientation reflète peut-être le désarroi électoral de la CAQ. Selon le dernier sondage Léger, elle n'aurait plus que 19% d'appuis... ce qui, selon les projections de Too close to call, lui ferait perdre 12 des 19 sièges qu'elle détient, y compris celui de son chef. Seul subsisterait le noyau dur de l'ancienne ADQ.

Si la CAQ ne trouve pas le moyen de remonter la côte, c'est le gouvernement Marois qui s'en frottera les mains, car la CAQ n'aura aucun intérêt à précipiter des élections.