Raté, le lancement de la campagne de Denis Coderre à la mairie de Montréal? Pas du tout.

La tentative de sabotage organisée par des militants du logement social l'a très bien servi. À la télévision en tout cas, il avait l'air parfaitement sûr de lui, nullement démonté par les huées débiles. C'est dans des circonstances comme celles-là qu'on mesure l'importance de l'expérience politique.

Le Frapru s'est discrédité en voulant entraver l'exercice de la démocratie et en postant derrière la tribune des hommes masqués qui semblaient sortis du maquis corse ou d'une ruelle syrienne. Il ne leur manquait qu'une kalachnikov.

M. Coderre a parlé pour l'immense majorité des Montréalais en défendant le règlement P6: quand on manifeste, on donne son itinéraire à la police comme cela se fait dans toutes les grandes villes, et l'on avance à visage découvert, comme des gens qui n'ont rien à cacher.

Quant au reste, je le dis sans ambages, au risque que la suite des choses me donne tort: j'ai apprécié la façon dont Denis Coderre s'est présenté. De l'aplomb, du bon sens, une approche concrète, positive et rassembleuse, du savoir-vivre aussi: il n'a eu que des mots aimables pour les Harel, Bergeron et Applebaum, même si l'on sent bien, au ton résolu qu'il avait jeudi, qu'il mènera campagne tambour battant.

Astucieuse, sa décision de recruter comme coprésidents de sa campagne une «valeur sûre» du conseil municipal, Anie Samson, et un ancien ministre péquiste, Pierre Bélanger.

Judicieuse, sa décision de ne pas former un parti politique municipal. «Une ville n'est pas un gouvernement, c'est une administration», dit-il avec justesse. Il n'y a pas de place pour les divisions idéologiques à Montréal, surtout pas à l'heure actuelle, dans cette métropole humiliée dont la réputation n'a été que trop écorchée.

Loin de se présenter comme un visionnaire ou un sauveur, il veut être, plus modestement, le chef d'un orchestre qui sera composé à 50% d'élus, l'autre moitié étant formée de recrues de l'extérieur. Voilà qui assure un bon mélange d'expérience et de sang neuf.

«Coderre, faute de mieux», ronchonne-t-on ici et là (j'ai écrit la même chose). C'est vrai, on a tendance à le regarder de haut, ce politicien associé à la vieille école chrétienniste.

Devant le seul homme qui a le courage de relever un dur défi et de prendre à bras-le-corps cette ville magnifique, mais abîmée, on pinaille, on fait la fine bouche. Les chambres de commerce veulent un homme d'affaires qui a réussi comme Labeaume, les intellos veulent un écolo, les universitaires veulent un économiste distingué... Et tous ces beaux esprits de s'en retourner à leurs barbecues, se détournant de Montréal avec une moue de dégoût.

Réflexion faite, je crois au contraire qu'un politicien professionnel pourrait être mieux à même de défendre bec et ongles les intérêts de la ville à Québec et à Ottawa, et de faire l'équilibre entre les groupes d'intérêt. Qu'y a-t-il de honteux à avoir fait carrière en politique?

D'André Raynault à Michael Ignatieff, le champ est rempli des cadavres symboliques de brillants sauveurs qui ont lamentablement échoué parce qu'ils n'avaient pas d'instinct politique. La dernière chose dont Montréal a besoin, c'est d'un intellectuel visionnaire qui tenterait de faire entrer Montréal dans ses propres schémas.

M. Coderre n'a jamais prononcé le mot «vision» et c'est heureux. Il ne s'agit pas de réinventer Montréal, mais de la gérer avec intelligence et réalisme.

C'est ce que le candidat a exprimé de façon très sympathique: «Je suis un fils de menuisier. Je ne suis pas un bâtisseur, mais un rénovateur.» Bien dit. Donnons, pour l'instant, la chance au coureur.