Selon les règles classiques de la politique, le fait de livrer son discours de victoire après les interventions de Jean Chrétien et de Bob Rae aurait dû nuire à Justin Trudeau, tant le contraste était terrible.

D'abord, deux hommes d'expérience - un ancien premier ministre qui a vu passer tous les trains et qui a fait roucouler l'auditoire de plaisir avec ses bons mots; et le chef intérimaire sortant, qui respirait l'assurance et la maturité (et qui du reste aurait dû être le choix des délégués en 2006: qui sait si le PLC serait tombé aussi bas sous sa gouverne?).

Et puis après, voici ce charmant garçon qui récite recto tono un petit laïus plat et dépourvu de style. Il n'a même pas l'air du quadra qu'il est pourtant, on dirait un étudiant du parlement modèle en train d'endosser un habit trop grand pour lui.

Vous l'écoutez et tout à coup vous revient l'image de son père sur le même genre de tribune. Et là, le contraste devient dévastateur. L'allure. La gravitas. La maîtrise superbe de la langue. La culture. L'intelligence éblouissante. L'esprit caustique et acéré. L'autorité intellectuelle...

Oui, je sais, les comparaisons sont injustes, surtout quand le fils ressemble si peu au père. Justin, qui d'ailleurs a fini de rouler sur son nom de famille et cherche maintenant à se faire un prénom, Justin donc tient plutôt de sa maman, une gentille et bonne personne qui à cette heure pleure d'émotion (on la comprend, d'ailleurs).

Vers la fin, il s'essaie quand même à l'autorité. Fini, martèle-t-il, les divisions entre Libéraux, ça se termine «maintenant, ici, ce soir», et il tape sur le podium. Le truc marche - tout le monde applaudit, qui donc serait contre l'unité? - mais sur le fond, l'intervention est pour le moins curieuse, puisqu'il n'y a pas eu de désunion au sein du PLC depuis au moins deux ans.

Chrétien contre Turner, Martin contre Chrétien, Ignatieff contre Dion, tout cela est de l'histoire ancienne. Ce sera même la grande force de Justin Trudeau que ce ralliement quasi-unanime autour de sa personne. Pourquoi inventer des désunions inexistantes, sinon comme prétexte pour jouer au chef résolu?

J'ai sursauté quand Justin Trudeau a dit à Patrice Roy que son père n'aurait peut-être pas approuvé la loi 101 (mais que lui-même n'a «pas de problème» avec ça). Au contraire, dans une fameuse interview, Trudeau père a longuement défendu la loi 101 contre les critiques de Max et Monique Nemni. L'astucieux personnage savait ce qu'il devait à cette loi qui, en protégeant la langue, a privé le camp du Oui de son moteur essentiel.

Cela dit, reste l'image. L'image qui colle si bien à cette époque axée sur l'émotion instantanée, où la gentillesse et la convivialité sont devenues des vertus cardinales.

Ce jeune père de famille athlétique, honnête et travailleur, qui respire la bonne volonté, a en plus la chance de son côté: essayez donc de porter dans vos bras deux enfants dont un petit diable de six ans sans avoir l'air gauche! Il le fait et la photo qui fera les manchettes est magnifique. Même sa femme, que le transfert des enfants devrait avoir déstabilisée, est plus jolie que jamais.

Famille, jeunesse, beauté, aisance naturelle, espoir... Les Libéraux sont fous de joie, et même les téléspectateurs les plus réfractaires au PLC ne pourront s'empêcher de le trouver sympathique, ce nouveau chef à qui son succès n'a même pas l'air de donner la grosse tête et qui a si peu en commun avec les politiciens traditionnels... quitte à représenter l'envers de ce que l'on attend d'un vrai leader.