Elena Kagan est-elle lesbienne? Telle est la question qui agite la droite américaine, alors que le Sénat s'apprête à examiner sous toutes ses coutures le «pedigree» de la juriste que le président Obama vient de nommer à la Cour suprême.

Elena Kagan est-elle lesbienne? Telle est la question qui agite la droite américaine, alors que le Sénat s'apprête à examiner sous toutes ses coutures le «pedigree» de la juriste que le président Obama vient de nommer à la Cour suprême.

D'emblée, le débat a pris une tournure désolante. «Si Mme Kagan a des pratiques sexuelles immorales, cela se reflètera sur ses décisions comme juge», de déclarer le président d'un groupe baptisé «Américains pour la vérité sur l'homosexualité» (sic).

Les uniques pièces au dossier concernant la vie privée de Mme Kagan sont le fait qu'à 50 ans, elle n'ait jamais été mariée, et qu'elle a déjà pris position en faveur de l'acceptation des homosexuels dans l'armée américaine - une position que n'importe quelle personne à l'esprit le moindrement ouvert aurait faite sienne. Nul besoin d'être soi-même gai pour appuyer les droits des gais!

Cette polémique, outre qu'elle indique la longueur du chemin qu'il reste à faire avant que les homosexuels soient pleinement acceptés, a d'autres aspects répugnants, quoique plus subtils.

La Maison-Blanche a désespérément tenté de faire taire les rumeurs concernant l'homosexualité supposée de Mme Kagan. Des sources proches du président appellent les médias pour leur affirmer que non, non, non, Mme Kagan n'est pas lesbienne... comme s'il y avait un problème à ce qu'elle le soit ! Démentir les rumeurs de façon trop véhémente, en effet, c'est accréditer l'idée que l'homosexualité serait une tare. Ainsi de la défense maladroite de cette ancienne camarade de classe de Harvard, qui se dit garante de l'hétérosexualité de Mme Kagan parce qu'à l'époque de leurs études, «elle sortait avec des gars...».

La réaction la plus saine est venue de Russel Wheeler, un expert sur les processus de sélection à la Cour suprême: «(La vie privée) de Mme Kagan ne regarde personne. J'ignore quelle est son orientation sexuelle et je m'en fiche.»

Dans un monde idéal dépourvu de tout préjugé envers les minorités sexuelles, il serait en fait assez bienvenu qu'un juge sur neuf ait une expérience concrète de la condition minoritaire, les autres étant tous hétérosexuels (du moins, c'est ce dont on présume, car ils sont tous mariés). Mais dans l'état actuel des choses, on voit bien que le droit à la vie privée n'existe pas encore pour les homosexuels.

Une autre question, autrement plus sérieuse, a été soulevée à propos de cette nomination, en particulier par l'historien Gil Troy, qui se demandait hier, dans le Globe and Mail, si Mme Kagan n'avait pas succombé à la tentation de «couvrir ses traces», histoire d'avoir un dossier vierge de polémiques lorsque viendrait le jour tant attendu d'une nomination à la Cour suprême (son rêve de jeunesse).

Depuis que le juge Bork a été éviscéré en 1987 par le Sénat qui allait finalement rejeter sa nomination après avoir ressorti les moindres écrits de son passé, les jeunes juristes ont appris à mener leur carrière et à contrôler leurs écrits de façon à franchir l'obstacle éventuel du Sénat, note M. Troy, pour qui le CV de Mme Kagan paraît «trop parfait».

Malgré qu'elle eût été une juriste renommée et doyenne de la faculté de droit de Harvard, elle a rarement participé aux grands débats qui agitent la communauté juridique. Ses publications universitaires ont le plus souvent été de prudentes analyses des lois administratives... Résultat : comme par ailleurs, contrairement à la tradition, Mme Kagan n'a jamais été juge, on n'a guère idée de la façon dont elle abordera les grands enjeux qui se présentent devant la Cour suprême.