Pourquoi? Pourquoi tant de malheurs successifs sur l'un des pays les plus pauvres de la planète, sur la seule poche de misère véritable de l'hémisphère nord? On pense à Job, accablé par tous les maux dont un homme puisse souffrir: «Pourquoi, Seigneur, m'as-tu abandonné?»

La Bible avait une réponse, mais aucune réponse n'émerge de nos sociétés laïques. Les anciens voyaient dans les catastrophes le signe d'une colère divine. D'où les sacrifices et les offrandes destinées à atténuer la fureur des dieux. Aujourd'hui, dans notre univers rationnel, on cherche des explications. On en trouve, très souvent, mais pas toujours.

 

Katrina, cet autre grand désastre, avait une cause première identifiable: les failles des digues censées retenir la pression des eaux. Il y avait quelque chose de rassurant dans l'idée qu'un facteur concret, mesurable et prévisible, était à la source de la tragédie, car cela voulait dire qu'une fois les digues reconstruites selon les règles de l'art, La Nouvelle-Orléans serait à l'avenir, littéralement, sauvée des eaux.

Beaucoup, parmi les multiples misères d'Haïti, tiennent à des facteurs pareillement identifiables: la déforestation, l'héritage du colonialisme, l'avilissement des élites politiques, le cycle infernal de la pauvreté, l'exode continu des cerveaux et des compétences... dont bénéficient Montréal et d'autres villes comme New York et Miami, où l'apport culturel et économique des émigrés de la petite île est incalculable. Mais ce dernier fléau n'a pas d'explications.

Il en a une, certes - c'est le séisme -, tout comme le tsunami qui a ravagé l'océan Indien en 2004 était l'équivalent maritime d'un tremblement de terre. Mais c'est une explication qui ne satisfait pas la raison. On veut en savoir plus. On veut savoir pourquoi la catastrophe s'est produite tel jour à telle heure, on veut savoir si on aurait pu la prévenir, comment on pourrait l'empêcher de se reproduire... Hélas! Les sismologues peuvent nous expliquer, a posteriori, ce qui s'est passé. Mais rien ne leur aurait permis de prévoir le désastre.

À l'échelle humaine, il y a aussi des tragédies que l'on n'arrivera jamais à comprendre, quoi qu'on fasse. Pourquoi Marc Lépine? À chaque anniversaire reviennent les mêmes interrogations désespérées, et les mêmes tentatives dérisoires de récupération idéologique. Ce serait la misogynie, le père violent, les armes semi-automatiques... Hélas! On ne percera jamais le mystère Marc Lépine. Les psychiatres peuvent s'en approcher, mais ils n'auront jamais la réponse définitive, celle qui ferait de ce 6 décembre 1989 un livre ouvert et clair, tant il est vrai qu'un autre jeune homme avec le même bagage génétique (disons son frère jumeau), et élevé dans les mêmes conditions, ne serait pas devenu un criminel.

Les ondes de l'horrible séisme ont ébranlé le Québec, car Haïti et le Québec sont liés par l'histoire et la langue. Si le créole est la langue populaire, c'est le français qui est la langue d'instruction d'Haïti, lequel fut dans le passé l'une des plus importantes terres de mission de nos anciens missionnaires, avant de constituer l'une des premières destinations des organisations humanitaires du Québec.

C'est donc tout naturellement que Montréal allait devenir la patrie d'adoption d'une grande partie des élites haïtiennes qui fuyaient le régime Duvalier. D'autres vagues d'immigrants suivirent, tant et si bien que le Québec est devenu un haut lieu de la diaspora haïtienne... dont le fleuron est Dany Laferrière, l'enfant adoptif chéri du Québec.

Par un incroyable coup du sort, le lauréat du Médicis était là, dans le pays d'où il a pris toute son inspiration, au moment où la terre a tremblé. Un retour marqué par une autre énigme sans réponse...