C'est l'histoire de la première journée de travail de Barack Obama à la Maison-Blanche. Il regarde les dossiers qui l'attendent, ressort à toute vitesse et convoque une conférence de presse. «Je demande un nouveau dépouillement», déclare-t-il.

Il y a beaucoup de vrai dans cette blague. Une multitude de dossiers pourris l'attend en effet, de l'Irak au Proche-Orient en passant par l'Iran et l'Afghanistan. La pire des attentes qui pèsent sur lui est l'espoir fou que sa venue règlera les problèmes du monde entier, comme si par la seule vertu miraculeuse de son charisme, le nouveau Messie répandrait la paix et la justice sur la planète! On est ici dans la religion ou dans le mysticisme, comme on voudra, mais certainement pas sur le dur terrain de la politique.

De manière plus réaliste, on peut plutôt prévoir que c'est sur le plan de la politique intérieure que Barack Obama pourra s'avérer le plus efficace, ne serait-ce que parce qu'il aura, sur le seul territoire sur lequel il exerce un certain contrôle, des moyens précis à sa disposition: les lois, les décisions, à quoi s'ajoutera le dynamisme irréductible du peuple américain.

Il a depuis longtemps un plan pour encadrer la reprise économique. Il s'est entouré des meilleurs experts. Il a dans ses cartons un projet de réforme de l'assurance-maladie - un projet capital qui devrait mettre un terme à l'injustice systémique qui fait que des millions d'Américains sont dépourvus d'assurance-maladie. Il a l'intention d'agir sur l'environnement. Il pourrait, souhaitons-le, agir contre la peine de mort. Détail primordial, les juges qu'il nommera à la Cour suprême seront des juristes progressistes, à tout le moins modérés.

Et c'est sans compter ce qui ne se mesure pas, ce qui échappe aux lois: le formidable impact psychologique que constitue l'accession d'un Noir à la présidence du plus puissant pays au monde.

C'est dans les ghettos noirs que cet impact sera le plus déterminant.

Barack Obama n'abolira pas les retombées de l'esclavage qui a marqué l'histoire américaine à l'encre rouge. Il n'éliminera pas le petit racisme ordinaire qui loge encore dans la tête de bien des gens. Il ne règlera pas d'un coup de baguette magique le chômage endémique et la sous-scolarisation. Mais il sera le premier «role model» de centaines de milliers de garçons qui n'en ont jamais eu.

La grande tragédie des ghettos noirs est en effet l'absence de modèles masculins, en raison de la désertion de trop nombreux pères de famille. C'est un thème sur lequel Obama, qui a lui-même terriblement souffert de n'avoir pratiquement jamais connu son père, est revenu inlassablement durant les primaires et la campagne présidentielle. Les séquelles de cet abandon définitif, survenu alors qu'il avait 2 ans (l'âge d'avant la mémoire), l'ont toujours hanté, jusqu'à ce qu'il découvre, une fois adulte, que son père n'était pas l'homme qu'il avait idéalisé.

Il a souvent expliqué que la désertion des pères était à la racine du désarroi des quartiers défavorisés. La désertion des maris, des conjoints et des amants de passage laisse des myriades de foyers à la charge de femmes seules, pauvres et sans instruction. Dans ce matriarcat non voulu et non assumé, les garçons, privés de l'autorité paternelle, et face à des mères dépassées par leurs responsabilités, sont des proies faciles pour les réseaux délinquants; ils décrochent de l'école et plus tard, devenus pères à leur tour, décrochent de la famille...

Or, voici qu'un homme noir devient, littéralement, l'homme le plus puissant au monde. Yes, we can. Yes, you can. Yes, I can.

Qui plus est, ce «role model» est un mari fidèle et aimant, un père attentif et affectueux. Combien de petits garçons, combien d'adolescents voudront émuler cette image inspirante? Combien de parents, combien d'enseignants, pourront dire à leurs enfants, à leurs élèves: Yes, you can?