Il n'y a pas que les industries culturelles et les acteurs du commerce de détail canadiens qui pâtissent du traitement fiscal inéquitable qui profite indûment aux géants étrangers de l'économie numérique actifs au Canada. Les deux piliers mondiaux du voyage en ligne, Expedia et Priceline, bénéficient eux aussi du laxisme fiscal canadien pour le paiement des réservations d'hôtel qui sont faites par l'entremise de leurs services à travers le pays.

Après les sorties remarquées de Peter Simons, PDG des magasins Simons, qui fait campagne pour l'établissement de règles claires en vue d'une juste et saine concurrence avec les géants du commerce en ligne, c'est au tour de Christiane Germain, cofondatrice et coprésidente du Groupe Germain Hôtels, de monter au créneau pour les mêmes raisons dans le secteur de l'hôtellerie.

Le Groupe Germain Hôtels possède et exploite 16 hôtels Le Germain et hôtels Alt au Canada, le 16e ayant été inauguré il y a deux semaines à St. John's, à Terre-Neuve- et-Labrador. Le groupe ouvrira quatre nouveaux établissements dans les deux prochaines années, notamment un nouveau Alt+ à Brossard.

Comme la majorité des hôteliers au Canada, le Groupe Germain a recours depuis quelques années déjà aux services des agences de voyages en ligne pour maximiser le rayonnement de ses adresses canadiennes partout dans le monde.

Deux grands groupes, Expedia et Priceline, dominent en fait largement le marché de la réservation en ligne en exploitant différentes enseignes qui sont responsables de près de 90 % des transactions en ligne. Expedia gère une douzaine d'enseignes, dont Trivago et Hotels.com, tandis que Priceline possède pour sa part une dizaine de sites de référencement, dont Booking.com et Kayak.

Des commissions libres d'impôt

Ces sites de réservations en ligne qui affirment être en mesure d'offrir les meilleurs prix sur le marché sur un territoire donné n'offrent pas leurs services à titre gracieux. Ils sont rémunérés par une commission que doivent leur verser les hôtels qu'ils ont référencés.

«Je paie une commission de 20% sur le prix du séjour et je n'ai pas le droit d'offrir un prix équivalent ou inférieur à celui que propose l'agence de voyages en ligne. Ce sont les règles du jeu.

«Mais là où j'en ai, c'est que ni Expedia ni Priceline ne remboursent de TPS ni de TVQ sur la commission que je leur paie. Dans les deux cas, j'envoie mes chèques de commissions en Suisse. Ces sommes échappent totalement aux taxes de vente, et ce, dans tous mes hôtels au Canada», déplore Christiane Germain.

La PDG du Groupe Germain donne l'exemple d'une chambre qu'Expedia louera 200 $ par nuit. Lorsque le client paie d'avance son forfait hôtelier, il le fera directement à Expedia.

Sur la facture de 200 $, Expedia prélève le montant de la TPS, de la TVQ et de la taxe hôtelière sous l'item générique «taxes et frais» et rembourse au Groupe Germain un montant de 160 $ (200 $ moins la commission de 40 $) et le montant des taxes prélevé sur 160 $.

C'est donc dire que le site de référencement conserve sa commission de 40 $ et la différence du prélèvement des taxes sur 200 $ et celles remboursées sur les 160 $ versés au Groupe Germain.

«Non seulement ils ne paient pas de TPS et de TVQ, mais ils conservent une partie du montant des taxes prélevé avant la commission.»

«Lorsqu'un client d'affaires demande les numéros de TPS et de TVQ pour obtenir un remboursement sur les intrants, il se fait répondre que l'item générique "taxes et frais" représente des taxes qu'ils doivent payer aux États-Unis. Ça n'a pas de sens», insiste-t-elle.

Lorsque j'ai demandé à Expedia pourquoi l'entreprise ne donnait pas son numéro de TPS et de TVQ aux clients qui lui ont payé directement leur forfait hôtelier, l'entreprise a pris trois jours avant de me répondre pour finalement me faire savoir qu'il s'agissait là d'un sujet sur lequel elle ne voulait pas faire de commentaires.

Lutter à armes égales

La PDG du Groupe Germain ne comprend pas pourquoi les fiscs canadien et québécois n'imposent pas les géants du référencement hôtelier. Lorsqu'on additionne toutes les commissions que ces sites facturent aux hôteliers canadiens, il s'agit de sommes énormes qui pourraient servir au financement de biens et de services publics.

Pourquoi le Groupe Germain continue-t-il d'avoir recours aux services de ces agences de voyages en ligne si elles exploitent ainsi indûment et le fisc et les hôteliers canadiens ?

« On n'a pas le choix. La clientèle de nos hôtels est essentiellement une clientèle d'affaires. On doit faire face les week-ends à des baisses d'achalandage, et ces sites contribuent à nous amener une nouvelle clientèle. Les réservations par référencement représentent entre 15 et 20 % de notre chiffre d'affaires », expose la PDG.

Christiane Germain a tenté de s'extirper partiellement de l'emprise de ces géants du web, mais en vain. Leur omniprésence et leur omnipotence sur l'internet sont telles qu'on ne peut même pas tenter d'y échapper.

«J'ai essayé de récupérer le mot-clé "Hôtels Germain", mais ils m'ont ramenée aux clauses en petits caractères de notre contrat pour me faire comprendre que ce n'était pas possible. Il y a toujours sept ou huit sites de réservations qui nous devancent.

«Priceline et Expedia investissent chacun 4 milliards et 3 milliards par année en publicité sur Google pour toujours arriver en tête des recherches des internautes. On ne peut pas les concurrencer», constate amèrement la PDG.

Reste que si ces géants faisaient au moins leur part en payant leur dû fiscal sur les gains énormes qu'ils réalisent au pays, l'amertume de Christiane Germain serait atténuée par un petit sentiment de début de justice sociale.