De toute évidence, il n'est pas facile d'arrimer les nouveaux modèles économiques induits par la 4révolution industrielle à la réalité économique, fiscale et concurrentielle existante. Le projet de loi 100 que vient de déposer le ministre des Transports Jacques Daoust pour encadrer le transport rémunéré de personnes est un bel exemple du périlleux arbitrage qu'il faut désormais réaliser entre les modèles de « l'ancienne » et la « nouvelle » économie.

Il est tout de même ironique de constater que c'est le même gouvernement libéral qui avait décidé, en janvier dernier, d'axer sa nouvelle stratégie économique autour de la numérisation grandissante de l'activité économique qui décide de quasiment interdire le nouveau et très populaire modèle Uber de transport partagé.

Cette divergence apparente entre la volonté affichée du gouvernement libéral de participer activement à la 4révolution industrielle et la façon dont il a décidé d'encadrer l'une de ses plus récentes manifestations nous rappelle que toute transformation de modèles existants nécessite une période de transition dont la durée est difficile à évaluer.

À l'instar du choc provoqué par l'utilisation grandissante de l'application Airbnb auprès de l'industrie hôtelière québécoise, celui d'Uber a non seulement ébranlé l'industrie du taxi tout entière, mais le système de transport partagé a privé le gouvernement d'entrées fiscales importantes qui n'allaient qu'en augmentant.

C'est bien beau l'économie de partage, mais ce l'est davantage quand tout un système d'échanges repose sur les mêmes bases. Or, Uber exerçait non seulement une concurrence déloyale aux artisans de l'industrie du taxi en n'ayant pas à assumer leurs mêmes charges et normes réglementaires, mais ses promoteurs agissaient de façon illégale en ne percevant aucune taxe à la consommation.

On le rappelle souvent, mais il est bon de le rappeler encore. Le modèle d'économie de partage sous lequel se drape Uber pour imposer sa présence partout où il s'implante permet tout de même à ses propriétaires de prélever des revenus importants qui échappent à l'impôt.

Et en bon apôtre du socialisme numérique, les dirigeants d'Uber ont monté en quelques années seulement une opération qui est estimée aujourd'hui à plus de 64 milliards de dollars américains.

Pour arriver à cette valorisation colossale, il suffit de faire la recension des rondes de financement que l'organisation a réalisées dans le passé et de voir à quel prix elle a cédé des fractions de sa propriété.

Ainsi, en 2014, Uber a réalisé un premier financement de 1,2 milliard qui valorisait l'entreprise à 40 milliards, puis à la suite de trois autres rondes totalisant 3 milliards Uber affichait, en 2015, une valorisation de 50 milliards, d'autres autres rondes ont suivi au cours des 12 derniers mois pour porter sa valeur à 64 milliards. (Airbnb repose sur une valorisation de plus de 25 milliards US).

Ces rondes de financement ont permis à Uber de développer sa plateforme et son infrastructure numériques partout dans le monde et à financer ses activités de lobbying et de défense légale.

Il y a deux semaines, Uber a accepté de verser 100 millions pour mettre fin à un recours collectif institué par un groupe d'anciens chauffeurs des États de Californie et du Massachusetts qui demandaient à être considérés comme des salariés plutôt que des travailleurs indépendants.

Ces chauffeurs voulaient ainsi pouvoir profiter d'avantages sociaux - salaire minimum, congés, couverture sociale... - que leur statut de travailleur indépendant leur interdisait.

Plutôt que d'accéder à leur demande, le PDG d'Uber, Travis Kalanick, a préféré obtenir un accord à l'amiable en leur versant 100 millions à titre de dédommagements.

C'est que l'économie de partage - celle que véhiculent à tout le moins les dirigeants d'Uber - repose sur le plus strict minimum possible de paiement de redevances aux gouvernements, de tout ordre soient-ils. Le système doit permettre aux usagers d'obtenir le plus faible tarif possible pour permettre l'enrichissement maximal de ceux qui sont tout en haut de la pyramide.

Un peu comme nos bons industriels de la première vague, les promoteurs et développeurs de chemins de fer qui ont amassé en Amérique du Nord des fortunes pharaoniques en exploitant au maximum les petits travailleurs, souvent fraichement immigrés.

La Fédération des chambres de commerce du Québec, la Chambre de commerce de Montréal, l'aile ultralibérale du Parti libéral du Québec ont toutes déploré que le gouvernement refuse d'imaginer un nouveau modèle économique du 21siècle. Mais est-ce vraiment le modèle Uber que l'on souhaite voir s'implanter comme Le modèle de l'économie numérique ?