Au-delà de la volonté nouvelle du gouvernement québécois de décarboniser l'économie québécoise et d'en faire une des trois priorités de sa politique de développement économique, Québec ne doit pas pour autant saboter les travaux qui visent à déterminer le potentiel en hydrocarbures de l'île d'Anticosti.

Depuis quelques mois déjà, un malaise persistant mine les relations entre Québec et ses partenaires privés de la société en commandite Hydrocarbures Anticosti qui a été créée il y a deux ans, à l'initiative du gouvernement péquiste, pour évaluer le potentiel en hydrocarbures de cette île du golfe du Saint-Laurent.

Rappelons-nous un peu le contexte. En 2008, Hydro-Québec, qui détenait les permis d'exploitation pétrolière à Anticosti, décide de céder ses droits à deux sociétés minières juniors, Pétrolia et Corridor Resources.

Si de grandes pétrolières comme Shell n'avaient pas jugé le site propice à l'exploitation pétrolière sur une base commerciale, alors pourquoi Hydro-Québec aurait-elle poussé plus loin ses investigations ?

C'était avant l'avènement ou à tout le moins l'utilisation à grande échelle de la technique de forage par fracturation, une technique qui permet de faire jaillir le pétrole coincé dans les strates rocheuses.

Un procédé d'extraction qui a permis aux États-Unis d'atteindre en l'espace de quelques années seulement l'autosuffisance énergétique en matière d'énergie fossile.

Selon des relevés géologiques réalisés en 2011, l'île d'Anticosti abriterait dans son sous-sol des réserves équivalant à quelque 35 milliards de barils de pétrole de schiste.

En 2014, à l'invitation d'Investissement Québec, Pétrolia et Corridor Resources cèdent leurs droits d'exploration sur l'ensemble du territoire d'Anticosti à une nouvelle société en commandite (S.E.C.), Hydrocarbures Anticosti, dont l'actionnaire principal sera Ressources Québec, la division minière d'Investissement Québec qui détiendra 35 % des actions.

Pétrolia et Corridor Resources obtiennent en retour de la cession de leurs droits miniers 21,7 % des actions d'Hydrocarbures Anticosti et une autre société pétrolière, Saint-Aubin E & P, une filiale de la française Maurel & Prom, obtient 21,7 % des actions restantes contre la promesse d'investir conjointement avec Ressources Québec 100 millions dans les travaux d'exploration qui vont déterminer le potentiel pétrolier d'Anticosti.

On a réalisé l'an dernier une première phase de sondages qui a confirmé la présence de pétrole, mais on doit amorcer en juin prochain l'étape ultime qui vise à déterminer le potentiel commercial du site grâce à la réalisation de trois forages d'exploration avec fracturation.

DÉCARBONISER ET SAVOIR

On le sait, depuis sa participation à la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques de Paris, en décembre dernier, le premier ministre Couillard a pris ses distances avec ce projet. Il y est même devenu carrément hostile.

Depuis la conférence de Paris, le premier ministre a coupé tous les ponts avec les partenaires privés d'Hydrocarbures Anticosti, qui attendent un certificat d'autorisation du ministère de l'Environnement pour réaliser les trois forages par fracturation qui détermineront si, oui ou non, le pétrole d'Anticosti est commercialement exploitable.

Le premier ministre a été encore plus cassant en déclarant récemment que les fonctionnaires allaient faire ce que le gouvernement leur dirait de faire, ce qui signifie qu'on pourrait tout simplement refuser de délivrer un certificat d'autorisation pour les forages et ouvrir ainsi une longue et coûteuse guerre juridique.

Le mois dernier, au forum de Davos, Philippe Couillard a clairement indiqué que la nouvelle politique québécoise de développement économique allait s'articuler autour de trois axes : l'innovation, la numérisation et la « décarbonisation » de l'économie.

Il s'agit certes d'un noble et très valable programme que de vouloir ainsi viser à une réduction planifiée et organisée de la consommation de carburants fossiles. Le Québec a les infrastructures et les ressources pour faire face à ce défi qui s'inscrit dans la longue durée.

Mais d'ici à ce que la décarbonisation de l'économie affiche les tout premiers jalons de sa réalisation partielle, la demande québécoise de pétrole va continuer d'être forte, et cela pour des décennies encore.

Décarboniser ne doit pas nous empêcher de savoir si le Québec a ou non le potentiel d'autosuffisance pétrolière que laisse présager le site de l'île d'Anticosti. Il faut au moins qu'Hydrocarbures Anticosti réalise les forages prévus pour en avoir le coeur net, une fois pour toutes.

À près de 14 milliards par année, le pétrole étranger pèse pour près de la moitié du déficit de la balance commerciale québécoise. Il me semble que cela vaut le coût de voir si on pourrait réduire ce déséquilibre.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE