Les entreprises publiques québécoises qui n'ont pas d'actionnaires de contrôle ne sont pas nécessairement des proies faciles pour les entreprises étrangères qui peuvent pourtant tirer profit de l'immense avantage que leur confère la faiblesse du dollar canadien. La vente de Rona à un concurrent américain ne semble visiblement pas avoir généré un vent de panique chez leurs dirigeants.

Il existe une vingtaine d'entreprises publiques québécoises dont les actions se transigent à la Bourse de Toronto et dont le contrôle n'appartient pas à un actionnaire majoritaire ou à un groupe d'actionnaires qui rallierait une majorité de voix.

Ces sociétés publiques sont donc, théoriquement, plus susceptibles de faire l'objet d'une offre publique d'achat (OPA) que les entreprises qui comptent sur un actionnaire majoritaire capable de faire échouer toute tentative de prise de contrôle hostile.

Depuis son inscription à la Bourse en 1986, le fabricant de trains d'atterrissage Héroux-Devtek n'a jamais eu qu'une seule classe d'actions ordinaires.

Aujourd'hui, personne, ni aucun groupe, n'exerce une position de contrôle sur son actionnariat. Son PDG, Gilles Labbé, affirme que cela ne l'a jamais empêché de dormir.

« Je ne suis pas inquiété par une éventuelle prise de contrôle. Notre entreprise repose essentiellement sur son management. Si un plus gros joueur voulait nous acheter, il sait que l'on ne resterait pas longtemps en poste. Il risquerait gros », évalue Gilles Labbé. Le PDG partage de façon pratiquement égale avec la Caisse de dépôt et placement un bloc qui équivaut à 25 % des actions du groupe.

Marc Dutil, PDG de Canam, le plus important fabricant nord-américain de composantes métalliques, partage un point de vue similaire.

« Nous considérons que la meilleure façon de se protéger est de prendre des décisions d'affaires avec le même courage et la même vitesse qu'un acheteur potentiel le ferait. À long terme, notre droit de gestion doit provenir de la performance de l'organisation, et non d'une sécurité artificielle », m'a-t-il indiqué par courriel.

Mario Plourde, PDG de Cascades, rappelle lui aussi que l'entreprise a toujours opéré avec des actions ordinaires et défendu le principe sacré d'une action, un vote.

« On ne s'est jamais inquiété d'être victime d'une OPA. Les frères Lemaire contrôlent 33 % des actions en circulation et ils auraient donc une position de blocage en cas d'offre hostile », estime le PDG.

La vente de Rona n'a pas ébranlé la conviction de ces dirigeants d'entreprise sans actionnaire de contrôle, et rien ne pourra freiner leur volonté et leur capacité de poursuivre le développement et la croissance de leur société.

Multiple et subalternes

On le sait, un grand nombre d'entreprises québécoises ont fait appel à l'épargne publique en émettant des actions subalternes qui donnent seulement une fraction de vote par action par rapport aux actions à vote multiple que se sont réservé les propriétaires de l'entreprise.

Le but étant évidemment de garder un contrôle majoritaire de l'entreprise, advenant l'émission de nouvelles actions. C'est ainsi qu'ont notamment pu se développer les sociétés Bombardier, Power Corporation, Québecor, CGI ou Alimentation Couche-Tard.

Les actionnaires d'origine ont gardé le contrôle de ces sociétés même s'ils ne possèdent plus aujourd'hui qu'une fraction de leur capital.

Selon plusieurs, l'exemple récent de Rona, dont le conseil d'administration a convenu d'accepter l'offre financière généreuse de la société américaine Lowe's, aurait pu être évité si un actionnaire de contrôle s'était opposé à la transaction ou si quelques gros actionnaires s'étaient regroupés pour voter en bloc contre une telle acquisition.

Mais pour que les entreprises sans actionnaire de contrôle fassent l'objet d'une OPA, il faut d'abord qu'elles suscitent un intérêt auprès d'un groupe étranger et que leurs activités canadiennes soient perçues stratégiquement essentielles aux yeux d'un acquéreur potentiel.

Dans le cas de Rona, il faut rappeler que l'intérêt de Lowe's à l'endroit de la chaîne québécoise ne datait pas d'hier. Impliquée dans une concurrence de tous les instants contre son rival Home Depot, Lowe's voulait imiter sa percée au Canada et reproduire le schéma d'implantation de sa concurrente américaine.

En 2007, Lowe's prévoyait ouvrir 100 magasins au Canada, mais le groupe a rapidement rencontré des difficultés et a compris en 2011 qu'il serait plus simple d'acquérir Rona que d'ouvrir un magasin à la fois.

C'est à ce moment-là qu'une première offre a été présentée à Rona, puis une deuxième en 2012 et, enfin, celle d'il y a deux semaines. Le courtisan n'a jamais lâché, et les actionnaires ont finalement été séduits par sa dot.