En 25 ans de carrière comme machiniste et dirigeant syndical chez Bombardier et pour l'ensemble de l'industrie aéronautique, Dave Chartrand en a vécu, des bouleversements, au cours de sa vie de travailleur. Curieusement, il n'affiche pas de grandes appréhensions face à la nouvelle ronde de suppressions d'emplois que vient d'annoncer l'avionneur montréalais.

Dave Chartrand s'est joint à Bombardier au début des années 90 lorsque l'entreprise amorçait son décollage, avec l'entrée en service de sa nouvelle famille de jets régionaux CRJ, un appareil révolutionnaire à l'époque.

En 1992, au moment du lancement commercial du CRJ-100, le premier jet régional de 50 passagers, Bombardier employait 3400 travailleurs à ses installations montréalaises.

Le CRJ obtient un réel succès commercial, et Bombardier lance une seconde version de l'appareil dans une configuration pouvant accueillir 70 passagers. La cadence de production ne cesse d'augmenter, tout comme les effectifs qui doivent répondre aux commandes abondantes.

« Quand j'ai commencé chez Bombardier, en 1990, on était 2500 employés en usine et avec la progression du programme des CRJ, la compagnie s'est mise à embaucher de plus en plus de nouveaux effectifs. », explique Dave Chartrand.

« En 2000, au sommet de la production du programme des CRJ, on était rendu 8800 dans notre unité syndicale des machinistes. À la suite des attentats terroristes de septembre 2001, l'industrie est tombée en crise et là, Bombardier a dû licencier massivement. »

« En 2006, on est retombé à 3900 travailleurs. C'est 5000 emplois qui ont disparu en six ans », rappelle Dave Chartrand, aujourd'hui vice-président de l'Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l'aérospatiale (AIMTA).

Après avoir vendu plus de 1400 appareils CRJ et élargi la famille de ses jets régionaux avec des versions pouvant accueillir 90 et même 100 passagers, Bombardier a constaté une baisse de popularité de ses produits auprès des transporteurs aériens.

Il fallait lancer une nouvelle famille d'avions commerciaux qui allait s'attaquer au créneau inoccupé des appareils de 100 à 130 places.

« En 2006, on a rouvert la convention collective pour permettre à l'entreprise d'aller de l'avant avec son projet de CSeries. C'était ça ou réduire les effectifs à 2000-2500 travailleurs, soit revenir au niveau où on était en 1990 », souligne Dave Chartrand.

Grâce au développement de la CSeries, Bombardier a repris les embauches en usines qui comptent aujourd'hui 4600 travailleurs liés à l'AIMTA.

Gérer la rationalisation

Bombardier a confirmé hier l'élimination de 1000 postes dans ses usines de Saint-Laurent et Dorval, là où l'on assemble les jets d'affaires Global 5000 et 6000 et où l'on doit réduire la cadence de production en raison d'un marché en panne de clients.

Ces mises à pied s'ajoutent aux 1000 autres suppressions de postes que Bombardier a annoncées en janvier 2014 dans ses quatre usines de la région montréalaise. Comment gère-t-on pareille crise ?

Dave Chartrand signale tout d'abord que les membres permanents de son syndicat n'ont pas été touchés par la première vague de janvier 2014. Bombardier s'est départie prioritairement des employés qu'on appelle complémentaires.

Les permanents syndiqués qui ont été touchés par une baisse de production dans une usine ont réussi à se reclasser dans une autre unité de Bombardier Aéronautique.

« La nouvelle vague de coupures va toucher principalement les employés de l'usine de finition. Là, il va y avoir des pertes nettes parce qu'on ne peut pas les relocaliser. Ce ne sont pas des machinistes mais des ébénistes, des rembourreurs qui travaillent à la finition des jets d'affaires. »

« Nous, on estime que la baisse de cadence de production des jets d'affaires va affecter 150 de nos membres. On va pouvoir les reclasser parce qu'on va hausser la production des CSeries. », poursuit Dave Chartrand.

« On a aussi 500 membres qui sont ou vont être éligibles à la retraite dans les deux prochaines années », souligne le dirigeant syndical.

Le secteur de l'aéronautique est d'une importance vitale pour la santé économique de la région de Montréal et pour l'ensemble du Québec, insiste Dave Chartrand. C'est un joyau dont il faut prendre soin.

Il faut aussi rappeler que l'aéronautique constitue, avec le secteur de l'aluminium, le principal vecteur d'exportations québécoises et rend ainsi de précieux services au Québec en réduisant de façon importante le déficit de sa balance commerciale.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Bombardier a confirmé hier l’élimination de 1000 postes dans ses usines de Dorval (photo) et de Saint-Laurent, là où l’on assemble les jets d’affaires Global 5000 et 6000.