La chaîne américaine de magasins Target vient de faire la coûteuse démonstration qu'il ne faut pas tenir le marché canadien pour acquis. Et Target n'est pas le seul gros acteur dans le secteur du commerce de détail à se casser les dents sur le territoire givré canadien: le groupe de quincailleries Lowe's éprouve des difficultés similaires.

De fait, Target s'est totalement trompée de cible en se lançant, en 2011, dans une coûteuse expansion canadienne.

Comme d'autres de ses semblables, la chaîne américaine de 1750 magasins se sentait à l'étroit dans son marché et a décidé d'annexer le territoire canadien en présumant qu'il s'agissait du 51e État américain, d'un marché acquis d'avance.

En partant, cette décision relevait donc d'une très mauvaise lecture du marché. Le secteur canadien du commerce de détail était déjà pleinement saturé avec une offre excédentaire et une concurrence fortement avivée, notamment depuis l'implantation, réussie celle-là, de Walmart.

La multiplication indue de chaînes de magasins de rabais - où l'on retrouve déjà au Québec seulement des enseignes aussi diverses que Tigre géant, Hart, Rossy, Dollarama, Korvette... - réduit considérablement l'unicité et l'attrait de ce concept de commerce.

Target a néanmoins décidé de débarquer en grand au Canada en annonçant qu'elle prévoyait ouvrir pas moins de 200 magasins canadiens.

Après deux ans d'exploitation et le cumul de 2 milliards US de pertes, la nouvelle direction de l'entreprise a décidé de mettre un terme à l'expérience canadienne et de fermer ses 133 magasins.

Une décision qui va se traduire par une radiation d'actifs de 5,4 milliards au bilan du trimestre en cours de Target, mais une décision qui était nécessaire parce qu'on ne voyait pas de rentabilité possible émerger des opérations canadiennes avant cinq ou six ans encore.

Une exécution pourrie

Je suis entré une fois dans un Target, celui de la Place Longueuil où logeait autrefois un Zellers.

Et j'ai justement eu l'impression de me retrouver dans un Zellers, mais avec des tablettes moins garnies et un désordre gênant dans les rangées où s'empilaient pêle-mêle des marchandises de toutes sortes.

«L'exécution était pourrie dans les Target canadiens. Il n'y avait pas assez de marchandises, il n'y avait rien qui distinguait leurs magasins des autres chaînes», constatait hier Robert Dutton, l'ex-PDG de Rona qui a travaillé durant plus de 35 ans dans le commerce de détail et qui a imposé Rona en marque nationale.

«Ils sont venus ici en pensant que leur nom allait faire une différence, poursuit-il. Mais ils n'offraient justement aucune différenciation avec les autres chaînes existantes. On retrouvait une plus grande variété de marchandises chez Sears, qui est pourtant en difficulté.»

Selon Robert Dutton, les gros détaillants américains ont tendance à surévaluer leur portée hégémonique lorsqu'ils décident de considérer le marché canadien.

L'exemple de la chaîne de quincailleries Lowe's, qui tente depuis 2007 de percer le marché canadien, est un autre beau cas d'implantation tortueuse.

«Lowe's n'avait pas d'opération canadienne et ils ont annoncé en 2005 qu'ils prévoyaient ouvrir des magasins chez nous à partir de 2007, alors que le marché était déjà saturé. Cela a permis à Rona et à Home Depot d'acheter tous les sites intéressants qui étaient encore disponibles.

«Ils ont dû s'implanter en périphérie dans de mauvaises localisations. Avec leur centaine de magasins, ils perdent encore de l'argent chaque trimestre», souligne Robert Dutton.

Selon le spécialiste du détail, Target et Lowe's font la démonstration que l'ère des magasins à grande surface est révolue. Mis à part les grands acteurs qui sont déjà bien implantés, ce concept de magasinage est en déclin, et le seul fait d'être une marque reconnue et à succès aux États-Unis ne garantit en rien le même achalandage au Canada.