Tous les experts le disent et je le constate depuis une semaine, pour qu'une entreprise réussisse avec succès l'équation complexe de son processus d'implantation en Chine, la principale variable dont elle doit tenir compte c'est le facteur temps. À toute règle il y a cependant des exceptions et la firme montréalaise R2 en est une belle.

La Chine et son inépuisable bassin de 1,3 milliard d'habitants font rêver n'importe quelle entreprise habitée de la moindre ambition. Elle en fait saliver aussi beaucoup qui sont convaincues d'avoir le produit qui leur assurera une conquête facile.

Mais la Chine ne s'ouvre pas facilement et peut rapidement devenir la terre du désenchantement.

Gilles Tremblay, PDG de R2, ne nourrissait aucune velléité à l'endroit du marché chinois. Son entreprise, qu'il a fondée en 1989, développe et implante des systèmes intelligents d'analyse et de contrôle de procédés industriels pour les fabricants de chlore.

R2 a implanté sa technologie qui permet d'éliminer les risques d'explosion tout en réduisant la consommation d'énergie des usines où l'on fabrique du chlore à partir du procédé d'électrolyse.

«Il y a toujours des explosions dans ces usines, les procédés sont trop instables. Nous avons mis au point un système qui permet d'opérer une unité sur la base de la prise de données en temps continu. On agit sur une base préventive en anticipant les risques d'explosion», m'explique le personnage qui parle comme un chimiste, qui ressemble à un chimiste, mais qui a, en fait, quitté l'école à 17 ans pour devenir pilote de brousse.

En 26 ans, R2 a implanté son système dans 69 usines à travers le monde, où il en assure partout la maintenance, mais n'avait jamais ciblé la Chine, un marché qui semblait trop compliqué et trop difficile d'accès aux yeux de Gilles Tremblay.

C'était jusqu'en février dernier, lorsque les responsables de la firme Bluestar, le plus important fabricant chinois d'électrolyseurs, ne l'approchent à Montréal. Bluestar est une filiale de la société d'État ChinaChem qui supervise toutes les activités du secteur chimique en Chine.

Après une seule visite en sol chinois, en mai dernier, Gilles Tremblay a signé une entente à Pékin mercredi qui permettra à R2 d'implanter son système dans les 160 usines du groupe que ChinaChem dirige en Chine et d'augmenter de 100% son chiffre d'affaires dès l'an prochain!

«Il se produit annuellement 88 millions de tonnes de chlore à l'échelle mondiale et la Chine en produit 40 millions», m'explique Jeff Pan, responsable des activités internationales de Bluestar.

«Le procédé de R2 est déjà utilisé dans la production de 11 millions de tonnes de chlore par année. Là on peut presque quadrupler notre présence. On va devoir embaucher six ou sept titulaires de doctorats dès l'an prochain», évalue avec fierté Gilles Tremblay.

Il ne voulait pas aller en Chine, c'est finalement la Chine qui l'a adopté. Une histoire incroyable qui ne serait jamais arrivée sans le programme des crédits d'impôt à la R et D du gouvernement du Québec, insiste Gilles Tremblay.

«À une époque, Investissement Québec garantissait notre ligne de crédit bancaire pour qu'on puisse payer nos chercheurs jusqu'à ce qu'on reçoive nos chèques de crédits d'impôt.

«On ne serait jamais passé à travers sans ce soutien. C'est une grave erreur que de vouloir les réduire de 20%. C'est l'ensemble de la recherche québécoise qui va en souffrir. Il faut faire du cas par cas», met en garde le PDG.

Imposer son adoption

La démarche singulière de R2 ne peut être érigée en modèle. Il s'agit vraiment d'un cas exceptionnel. Une autre entreprise québécoise, Soprema, de Drummondville, démontre toutefois qu'il y a moyen d'amener les Chinois à vous adopter.

Soprema fabrique des membranes d'étanchéité pour les bâtiments. Elle est la division québécoise d'un groupe français, mais dispose toutefois d'une totale indépendance. Elle est notamment responsable du développement international en Chine, en Russie, au Moyen-Orient et en Australie.

«On est présent en Chine depuis 10 ans», explique Richard Boyer, le PDG de la PME qui emploie 350 personnes à Drummondville. «On y vend nos membranes d'étanchéité qui sont de plus en plus reconnues par l'industrie. Pour mieux desservir le marché chinois, on a annoncé hier la construction d'une usine de fabrication qui va nous rendre beaucoup plus concurrentiels, avec l'abolition des frais de transport et de douanes.»

L'entreprise qui vend pour 10 millions par année en Chine prévoit y réaliser des revenus de plus de 200 millions d'ici 5 ans. Cette hausse des ventes compensera largement l'investissement de 60 millions que va nécessiter cette implantation chinoise.

«C'est un marché immense. La Chine va continuer d'ériger de nouveaux immeubles et 95% des bâtiments existants ont des problèmes d'infiltration. Et on a le meilleur produit sur le marché», avance avec confiance son PDG.

Notes de mission

Je n'étais pas revenu à Pékin depuis 2007, ce qui fait une éternité en vertu de la course accélérée à la modernité dans laquelle s'est engagée la Chine depuis deux décennies.

La différence? En 2007, on était à la dernière année de préparation des Jeux olympiques. La ville était envahie de grues besogneuses qui se déplaçaient dans le ciel de façon incessante dans un ballet vertigineux, telle une colonie de fourmis aériennes.

Faut dire aussi qu'en 2007, on pouvait encore voir le ciel à Pékin, les jours ensoleillés et venteux.

Les grues ont laissé place aux gratte-ciel attendus, mais, mis à part la journée d'hier, un nuage opaque de grisaille obscurcit en permanence la ville. Un nuage qui génère la multiplication du nombre de passants qui arpentent les rues, le visage caché derrière un masque respiratoire.

Pourtant la ville affiche une belle vitalité. Beaucoup des gratte-ciel qui ont été construits depuis la tenue des Jeux témoignent d'une audace architecturale à laquelle les Occidentaux sont peu habitués.

En 2007, Pékin donnait l'impression d'être une ville en quête d'identité qui cherchait à se forger une personnalité. Aujourd'hui, elle donne l'image assumée de la capitale d'une puissance mondiale qui doit apprendre à moduler sa volonté de croissance à la capacité de ses citoyens d'y vivre et de s'y épanouir convenablement.