Certains observateurs ont rechigné hier devant l'aide financière que Québec a consentie à la multinationale Ericsson pour l'implantation de son futur centre mondial de technologies de l'information à Vaudreuil-Dorion. Pour un investissement de près de 1,3 milliard, Ericsson pourrait toucher jusqu'à 30 millions en aides gouvernementales diverses.

Pour plusieurs, Québec a été trop généreux en accordant ainsi une subvention de 10 millions, des crédits d'impôt donnant droit au remboursement du tiers des salaires de certains des employés qui travailleront sur le site et, enfin, un congé fiscal de 10 ans à l'entreprise pour ses nouvelles activités.

De plus, Ericsson pourra bénéficier du tarif «L» d'Hydro-Québec pour ses besoins énergétiques, soit le tarif préférentiel accordé à ses gros clients industriels.

Aux yeux de certains, cette aide gouvernementale, qui pourrait donc atteindre 30 millions sur 10 ans, serait trop cher payée pour un investissement qui ne créera que 60 emplois directs sur le site et qui préservera quelque 200 postes de chercheurs au centre de R&D d'Ericsson à Montréal.

Pris isolément et hors de son contexte, cet exemple de soutien financier gouvernemental pourrait effectivement être associé à une forme de générosité étatique extrême, proche de la complaisance. C'est pourquoi il faut le replacer dans son contexte pour se rendre compte que l'action de Québec a été on ne peut plus sobre.

À la mi-juillet, la société québécoise Norampac, propriété de Cascades, va inaugurer dans la municipalité de Niagara Falls, dans l'État de New York, une toute nouvelle usine de cartons-caisses doublés. Cascades a investi 430 millions pour ériger cette nouvelle installation, à proximité de l'une de ses usines existantes.

D'une capacité de production annuelle de 540 000 tonnes, fabriquées à partir de carton recyclé, cette usine deviendra l'une des plus performantes de l'industrie en Amérique du Nord. Elle fonctionnera avec seulement 108 travailleurs.

Pour amener Cascades à investir dans son État, le gouverneur Andrew Cuomo était extrêmement fier d'annoncer, en juin 2011, que Cascades allait bénéficier d'une aide totale de 142 millions pour s'établir à Niagara Falls.

Pour réaliser son investissement de 430 millions, Cascades a obtenu des crédits d'impôt de 60 millions de l'État de New York; 10 mégawatts d'hydroélectricité de la New York Power Authority; 5 millions de crédits d'impôt de la «Empire Zone»; 3,5 millions pour installer un système de cogénération d'électricité, des subventions aux infrastructures et à la formation...

Avec cette nouvelle usine, Cascades voulait se rapprocher de ses clients américains qui ont déjà réservé 80% de sa production. Il fallait aussi être à proximité des centres d'approvisionnement en matière première, la fibre de carton recyclée, que Cascades va acheter de New York, Buffalo et Toronto.

La réalité de l'attractivité

«C'est ça, la réalité d'aujourd'hui. Un État aussi traditionnellement capitaliste que peut l'être New York - qui se remettait à peine d'une terrible récession - en est rendu à consentir de tels avantages pour attirer des investissements chez lui», m'expliquait hier Howard Silverman, président de CAI Global, une firme de démarchage et de localisation de sites d'investissement.

Howard Silverman est un vieux routier du monde du démarchage industriel. Depuis 1990, sa firme a attiré au Québec pour 7 milliards de dollars d'investissements qui ont contribué à créer 59 000 emplois.

C'est lui qui a notamment amené Ericsson à investir massivement dans son centre de R&D à Montréal, en 1991, lorsque le groupe suédois a injecté 176 millions et créé 350 postes de chercheurs.

Il a participé à la redéfinition du mandat de la Bridgestone-Firestone à Joliette en 2001, ce qui a permis de sauver les 1200 emplois qui étaient menacés à l'époque. C'est aussi lui qui a accompagné Cascades dans son implantation à Niagara Falls.

«On n'intervient pas comme lobbyiste. On cherche à trouver des avantages distinctifs plutôt que de vendre le projet aux politiciens. Cascades était déjà à Niagara Falls et va même profiter des installations de cogénération de son usine existante pour alimenter en vapeur sa nouvelle usine», explique Howard Silverman.

L'État de New York a été persuasif, mais ce n'est rien comparé à ce que peut offrir le Texas où, depuis 3 ans, 60% de tous les nouveaux investissements industriels ont été réalisés aux États-Unis.

«Neuf des dix critères selon lesquels une entreprise va décider d'investir sont liés aux coûts. Il faut que le Québec devienne aussi compétitif que les États américains, sinon on va manquer bien des occasions», souligne-t-il.

Il a lui-même été victime de cette persuasion américaine lorsqu'il était à mettre sur pied un plan de modernisation de l'usine Electrolux à L'Assomption. «Le directeur général ne savait même pas que la maison mère suédoise négociait le déménagement de l'usine au Tennessee. Ça s'est fait dans son dos», constate-t-il.

Selon le démarcheur professionnel, le Québec peut encore attirer des investissements étrangers, mais il doit coordonner son action et, surtout, ne pas la diluer. Selon lui, Investissement Québec devrait rester comme une entité distincte parce que l'agence est reconnue à travers le monde. Beaucoup plus que ne le sera jamais la Banque de développement économique du Québec.