La publication la semaine dernière du témoignage de Robert Dutton entourant les circonstances de son congédiement de la haute direction de Rona a suscité énormément de réactions de lecteurs et d'acteurs du monde des affaires québécois qui étaient très largement favorables à l'ex-PDG.

Il y a 10 jours, dans une longue entrevue à La Presse, Robert Dutton a brisé le silence qu'il gardait depuis son congédiement il y a trois mois. L'ex-PDG déplorait le fait d'avoir été sacrifié pour répondre aux attentes à court terme de quelques gros actionnaires institutionnels.

Il estimait avoir été largué par son conseil d'administration qui ne l'a pas épaulé dans son projet de privatiser Rona. Il a avoué que ce congédiement l'a profondément affecté.

Cette entrevue a suscité beaucoup de commentaires. La très grande majorité des gens qui ont partagé leur opinion par courriels ou qui me l'ont exprimée de vive voix ont jugé que Robert Dutton avait fait preuve de courage et d'humilité en levant ainsi le voile sur les événements de la dernière année au cours de laquelle Rona a maintes fois fait la manchette des actualités financières.

Quelques voix dissonantes n'ont toutefois pas partagé cette quasi-unanimité et ont vu les choses autrement. Ainsi, un PDG - qui ne remet pas en question le courage de Robert Dutton d'avoir livré son témoignage - se demandait ce que cette sortie allait rapporter à Dutton.

« Qu'est-ce qu'il avait à gagner à rendre publique son histoire? Il est souvent préférable dans de pareilles circonstances de prendre du recul et de laisser passer le temps », estime ce gestionnaire.

Un autre PDG a pour sa part qualifié la sortie de Robert Dutton de suicide professionnel. « Il ne trouvera sûrement pas un nouveau job de PDG. Il vient de se fermer des portes de bien des conseils d'administration », évalue-t-il.

Ces deux opinions peuvent se défendre. Elles reflètent surement l'orthodoxie du parfait gestionnaire qu'enseigne et prescrit n'importe quel manuel de sciences de la gestion 101.

Mais dans le cas de Robert Dutton, ces deux opinions ne tiennent pas compte de la réalité de l'homme et du contexte de son congédiement.

L'ex-PDG de Rona et l'entreprise qu'il dirigeait ont toujours été inextricablement liés et Robert Dutton s'est fait une renommée dans le monde administratif québécois pour être l'un des entrepreneurs qui se consacrent le plus au développement de son entreprise et des gens qui y travaillent quotidiennement.

Qu'est-ce que Robert Dutton avait à gagner à livrer son témoignage? Rien. Absolument rien de tangible ni d'immédiat. Rien d'autre que l'assouvissement de son besoin de livrer sa version de l'histoire et de rendre compte de ce qu'il estimait être la vérité auprès des 30 000 employés qu'il a dirigés durant plus de 20 ans.

L'idée derrière la publication de ce témoignage n'était pas de sanctifier Robert Dutton ou d'en faire un martyr, mais bien de lui donner l'occasion d'expliquer sa version des événements qui ont conduit à son congédiement. Un congédiement qui a totalement pris de court tout le personnel de l'entreprise.

Depuis que Rona a rendu public, en juillet dernier, son refus de donner suite à la proposition d'acquisition de Lowe's, son PDG a été confiné au silence et n'avait jamais pu exposer son point de vue sur la stratégie qu'il aurait aimé mettre de l'avant.

Est-ce que Robert Dutton a par ailleurs commis un suicide professionnel en brisant le silence comme il l'a fait en accordant une entrevue?

Là encore, c'est mal connaître l'individu de penser que Robert Dutton aurait pu être intéressé à diriger une autre entreprise que Rona. Largement indépendant de fortune, il aurait touché le pactole avec son million d'actions si Rona avait été vendue. Ce n'est pas l'argent qui motivait Robert Dutton, c'était Rona.

« Il s'est déjà retiré durant six mois des affaires de la compagnie pour réfléchir à son avenir. Il était tenté par la prêtrise et il se demandait où son action serait la plus utile. Il avait fait son choix, c'était chez Rona », relate Stéphane Gagnon, marchand Rona et ami de Robert Dutton.

Robert Dutton n'avait rien à gagner à nous livrer son témoignage, mais il n'avait plus rien à perdre.