Le groupe américain Lowe's a finalement retiré hier sa proposition amicale d'acquisition de la chaîne de quincailleries Rona, mettant fin - pour l'instant du moins - à une controverse qui a mobilisé à peu près tout le Québec économique durant une bonne partie de l'été.

La direction de Rona a néanmoins et curieusement observé, hier encore, le même mutisme qu'elle a affiché depuis le début de la saga Lowe's où elle joue pourtant un rôle de tout premier plan.

Toute la journée d'hier, le communiqué de presse qui faisait la manchette de la section Relations avec les investisseurs du site corporatif de Rona était à des années-lumière de rassurer les actionnaires de Rona sur la suite prévisible ou attendue des choses.

«Rona va rénover le terrain de football de Millwoods Sport Park à Edmonton». Voilà la dernière actualité corporative que Rona estimait d'intérêt public et qui a été affichée toute la journée sur son site.

Aucune réaction au retrait de l'offre de Lowe's. Aucune mention de cette nouvelle financière qui faisait pourtant la manchette de tous les sites d'informations financières du pays. Pour la direction de Rona, il semblait s'agir d'un non-événement.

Ou, plus vraisemblablement, c'est que le conseil d'administration de Rona sait ou est convaincu que le retrait de l'offre amicale de Lowe's n'est que l'étape qui précède le dépôt d'une offre publique d'acquisition (OPA) hostile, le scénario évoqué hier par plusieurs analystes financiers qui suivent ce secteur d'activité.

Le sujet d'une offre d'achat possible de Rona par le géant américain Lowe's a été au coeur de la dernière assemblée annuelle des actionnaires du groupe québécois en mai dernier, alors qu'il ne s'agissait à l'époque que d'une simple menace, d'une éventualité non désirée.

La direction du détaillant québécois avait nié à ce moment-là avoir entretenu quelque contact d'acquisition que ce soit, bien qu'on ait appris par la suite que Lowe's avait amorcé un premier contact auprès de la direction de Rona en décembre dernier.

Puis, une fois que le conseil de Rona a annoncé le 31 juillet qu'il avait effectivement refusé une offre d'achat amicale formulée trois semaines plus tôt par Lowe's, le sujet a été propulsé à l'avant-scène de la campagne électorale.

Chacun des partis politiques est monté aux barricades pour dénoncer à tour de rôle cette transaction qui allait entraîner la disparition d'un important siège social québécois et qui menaçait aussi des centaines de millions d'achats auprès de fournisseurs québécois.

Encore là, la direction de Rona est toujours restée muette. Si la discrétion est souvent considérée comme une vertu, en abuser peut cependant transformer cette qualité en profond irritant.

Nouvelle ligne de défense

Finalement, à force d'insistance, la direction des communications de Rona m'a transmis hier en milieu d'après-midi, une première et finale mais sibylline réaction officielle.

«Rona a appris ce matin par voie de communiqué de presse que Lowe's retirait son offre d'acquisition non sollicitée et non contraignante. Tel que mentionné dans notre communiqué du 31 juillet dernier, la priorité de Rona est de poursuivre l'implantation de son plan d'affaires axé sur le renouvellement de son offre aux consommateurs. Cette priorité demeure.»

L'entreprise réexplique enfin, dans un second paragraphe, son nouveau plan d'affaires.

Bref, on n'en sait pas plus sur la façon dont la direction de Rona interprète le retrait de Lowe's ou sur une possible ligne de défense qu'elle aurait élaborée pour contrer une nouvelle offre non sollicitée de son rival américain.

Ce mutisme générateur d'ambiguïté ne semble pas trop inquiéter les 400 marchands affiliés ou franchisés de Rona qui étaient vivement opposés à la transaction. Le seul retrait de l'offre de Lowe's leur permet de respirer, au moins temporairement.

Stéphane Gagnon, propriétaire de six quincailleries Rona - dont quatre magasins-entrepôt à Saint-Bruno, Brossard, Saint-Hyacinthe et Granby - se disait soulagé hier par l'annonce de l'abandon de Lowe's.

«Les marchands affiliés ou franchisés de Rona ne cadrent pas du tout dans leur concept. Lowe's veut opérer des grands magasins et des très grands magasins. Un point c'est tout. Notre modèle ne leur convient pas et on leur a fait savoir», insiste-t-il.

Selon lui, la direction de Rona a maintenant le temps de s'organiser en vue de faire échec à une éventuelle nouvelle proposition de Lowe's. La dernière campagne électorale a démontré qu'il y avait un consensus pour protéger un siège social important pour le Québec.

Pour l'instant, personne ne sait comment s'organise cette ligne de défense. Est-ce que la Caisse de dépôt va augmenter sa participation déjà importante de 15% au capital de Rona? Est-ce que le PQ va demander à Investissement Québec d'investir massivement dans Rona?

J'ai l'impression qu'on va rester en plein mystère pour un petit bout de temps encore, probablement d'ici à ce que Lowe's se manifeste à nouveau.