Comme les principaux protagonistes du célèbre roman de Tom Wolfe - dont l'action se déroule dans le monde de la haute finance new-yorkaise - les trois plus hauts dirigeants de la banque Barclays de Londres se voyaient encore la semaine dernière comme les «Maîtres de l'Univers». Une perception bien éphémère puisqu'ils sont aujourd'hui considérés comme les derniers parias de la cupidité.

Depuis lundi, le président du conseil, le président et chef de la direction et le chef des opérations de la Barclays ont tour à tour démissionné de leur poste dans la foulée du scandale qu'on a baptisé le «Liborgate» en Grande-Bretagne.

Entre 2005 et 2009, la banque Barclays aurait sous-évalué ou surévalué le taux auquel les autres grandes banques londoniennes lui prêtaient de l'argent dans le but de dissimuler ses difficultés ou obtenir de meilleurs rendements sur les opérations de ses traders.

Le taux d'intérêt interbancaire de référence - le London Interbank Offered Rate (LIBOR) - est déterminé chaque jour par la moyenne des taux d'intérêt auquel les grandes institutions financières se prêtent de l'argent entre elles. Le LIBOR sert également à fixer le Euribor, le taux interbancaire européen.

Ces taux interbancaires servent chaque année à fixer les coûts de financement de milliers de milliards de transactions dans le monde. La banque Barclays a admis avoir manipulé régulièrement à la baisse son taux de financement interbancaire pour donner l'image aux autorités britanniques et à ses concurrents que sa situation financière était impeccable.

La banque pouvait aussi gonfler son taux d'emprunt quotidien pour hausser les rendements sur des transactions spécifiques de ses traders. En d'autres mots, on ne reculait devant rien pour aller chercher quelques dollars de plus...

La Barclays a accepté de payer une amende 455 millions US et son président du conseil, Marc Agius, a démissionné lundi pour tenter de mettre un terme au scandale et aux enquêtes des autorités britanniques et américaines. Mais rien n'y fait.

Mardi, c'est le PDG, Bob Diamond - un des financiers les mieux rémunérés de la planète - qui a dû démissionner et qui a entraîné dans sa chute le président et chef des opérations, Jerry del Messier, qui a été durant des années son bras droit. Soit dit en passant, M. del Messier est natif de Sudbury, en Ontario, et un ex-employé de la Banque Scotia.

Bob Diamond a été appelé à témoigner hier devant la commission du Trésor du Parlement britannique où il a admis que des erreurs et des gestes répréhensibles avaient été commis à la Barclay.

Devant la mise en preuve de nombreux échanges de courriels où des traders demandent carrément à des agents de trafiquer les taux de référence de la Barclays, l'ex-PDG Diamond a affirmé que la lecture de ces courriels l'avait rendu malade.

La seule défense qu'a présentée l'ex-PDG pour justifier la commission de ces actes illégaux est que la quinzaine d'autres banques qui participent au LIBOR trafiquaient elles aussi leur taux d'emprunt aux mêmes fins que la Barclays.

Cette défense - ou cet aveu - selon laquelle tout le monde triche dans le monde bancaire en dit long sur la probité des dirigeants des grandes institutions financières internationales et n'a rien pour ne rassurer personne.

On pensait que la crise financière de 2008 - qui a failli marquer la désintégration totale du système financier mondial et dont on s'est miraculeusement sorti grâce à l'action urgente et massive des gouvernements et de l'argent public - avait distillé une dose d'humilité et de «redevabilité» dans l'esprit des monarques de la finance.

Mais non, les «Maîtres de l'Univers» sont toujours convaincus qu'ils le sont vraiment et que seules leur audace et leur ingéniosité peuvent assurer la bonne marche du système.

Comme ce bon Jamie Dimon, PDG de la banque JP Morgan Chase, qui après avoir perdu 2 milliards US pour avoir utilisé l'argent de ses déposants à des fins spéculatives dans des produits dérivés s'est excusé du bout des lèvres pour cet «évènement isolé». Le bûcher des vanités n'est vraiment pas près de s'éteindre.