On était nombreux à penser que la terrible crise financière de 2008 allait être l'événement déclencheur qui permettrait enfin de policer les pratiques et comportements des financiers du monde entier et plus particulièrement de ceux de Wall Street. Une crise qui ne consacrerait peut-être pas la fin de l'avidité, mais qui donnerait place à une plus grande éthique dans la volonté d'enrichissement à tout prix.

Parce qu'il faut rappeler que la crise de 2008 n'a pas été qu'un banal épisode dans l'histoire héroïque du capitalisme. Il s'est agi plutôt d'un cataclysme sans précédent qui a failli jeter totalement à terre les systèmes financiers américain et européen.

Aux États-Unis seulement, la faillite de Lehman Brothers, la plus importante de l'histoire financière américaine, aurait pu être suivie par celles de l'assureur AIG, des courtiers Bear Stearns et Merril Lynch, des banques Washington Mutual, Wachovia ou Citigroup qui ont tous été sauvés par des pairs et, surtout, par l'action énergique de la Réserve fédérale américaine.

Tout ça pour dire que c'est avec un certain étonnement que l'on a appris la semaine dernière que les enseignements tout aussi récents que violents de la crise financière internationale de 2008 n'ont eu aucun effet pour réduire l'avidité qui anime encore la conduite des financiers de Wall Street.

Les 2 milliards de dollars de pertes que vient d'encaisser la banque JP Morgan en un mois sur des transactions de courtage, essentiellement sur la vente de produits dérivés de crédit, nous rappellent brutalement que les financiers de Wall Street n'ont rien appris de 2008 et qu'ils continuent de spéculer et de mettre en péril l'argent de leurs déposants.

Le cas est d'autant plus pathétique qu'il survient chez la plus grande banque américaine qui est elle-même dirigée par un opposant affiché au resserrement des lois qui visent à empêcher les banques à courir des risques comme ceux qui viennent d'entraîner une perte sèche de 2 milliards.

Hier, Jamie Dimon, PDG de JP Morgan, a accepté la démission de sa directrice des investissements, Ina Drew, qui chapeautait la filiale londonienne qui a orchestré les transactions spéculatives, et il a admis du bout des lèvres que son image anti-encadrement en avait pris un coup avec cette minicrise.

Le virage canadien

Jamie Dimon devrait prendre exemple de son homologue canadien Edmund Clark, PDG de la Banque Toronto-Dominion, qui a déclaré dans une entrevue à l'agence de presse Bloomberg - la veille de la mise au jour de la perte de 2 milliards de JP Morgan - : «Si tu veux spéculer, ne dis pas que tu es une banque, dis que tu es un fonds spéculatif.»

Le PDG canadien a rajouté en déclarant qu'une bonne partie des profits de Wall Street sont créés à partir du modèle «Je vais miser contre mes clients», ce qu'a fait exactement la banque JP Morgan en spéculant sur des obligations corporatives d'entreprises américaines.

Depuis l'éclatement de la crise financière de 2008, le système bancaire canadien est constamment cité en exemple sur les tribunes internationales pour sa solidité et sa grande solvabilité.

Notamment parce que nos banques acceptent des ratios de capitalisation beaucoup plus contraignants que leurs semblables internationales qui ont toutes prétendument bénéficié de la libéralisation de leurs conditions d'encadrement.

Les banques canadiennes qui auraient dû normalement être pénalisées dans leur expansion par des lois trop restrictives sont pourtant en train de s'implanter toujours plus solidement aux États-Unis.

Quand vous accédez à Wall Street, en passant par Broadway, c'est une banque canadienne, la TD justement, qui est l'institution qui trône comme porte d'entrée de la métropole financière mondiale.

Depuis l'acquisition de Commerce Bancorp, en 2007, la Banque TD exploite plus de 1300 succursales sur la côte Est, du Maine jusqu'à la Floride. C'est dans le TD Banknorth Garden que jouent notamment les Bruins et les Celtics de Boston.

Avec l'acquisition en 2010 de M&I Bank dans le Missouri et les États limitrophes, la Banque de Montréal a renforcé la position de sa banque américaine Harris Bank dans le Midwest en exploitant un réseau de plus de 700 succursales.

Visiblement, il semble encore possible d'exploiter des banques avec des opérations au détail et des activités commerciales, sans mettre à risque le capital de ses clients. Les banques canadiennes le démontrent chez elles et maintenant aux États-Unis. Un exemple qui pourrait transformer pour vrai et pour le mieux le visage de Wall Street.