Céline Dion vient de perdre son amoureux, mais aussi son bouclier et son plus grand protecteur, qui l'a toujours mise à l'abri des tempêtes médiatiques et des critiques assassines.

Pendant toute sa vie, René Angélil a redoublé d'efforts pour protéger sa superstar des «attaques» émanant principalement des journaux. René adorait Céline, c'était évident, et il comprenait difficilement pourquoi tout le monde ne la voyait pas avec les mêmes yeux émerveillés que lui. Des yeux d'imprésario au départ, qui sont ensuite devenus des yeux de mari.

Si Céline ne lit jamais les articles - positifs ou négatifs - écrits sur elle, René, lui, épluchait tous les quotidiens et n'hésitait pas à communiquer son mécontentement. Autant il pouvait être extrêmement loyal envers ceux qui ont accordé - comme Michel Drucker et Michel Jasmin - une première chance à Céline, autant il pouvait ruminer pendant des années et des années des papiers qui lui étaient restés en travers de la gorge.

Ce côté hyper contrôlant de René Angélil, qui s'ancrait dans une admiration sans bornes pour sa protégée, a souvent été évoqué publiquement. Cela faisait partie de ses tâches de garde du corps.

Vous avez écorché Céline? Parfait, tranchait-il. Vous êtes barrés et ne pourrez plus lui parler. C'était tout ou rien. Il était comme ça, René Angélil. Intense, intransigeant et entier.

L'imprésario ne devait vraiment pas apprécier la montée en puissance des médias sociaux, qui pulvérisent l'exercice d'une quelconque forme de contrôle et qui ouvrent la porte à des commentaires autrement plus mesquins et diffamatoires. Ce n'est donc pas étonnant que la diva soit quasi absente de Twitter et Facebook. René Angélil n'aurait jamais été capable de tout filtrer et de tout écrémer. Céline Dion ne gère aucun de ses comptes elle-même, contrairement à d'autres stars de la pop comme Taylor Swift, Madonna ou Rihanna, qui exploitent à fond les possibilités de ces plateformes.

Décrocher une entrevue individuelle avec René Angélil quand on ne figurait pas dans ses bonnes grâces ou quand on ne travaillait pas pour le bon empire relevait quasiment du miracle. En plus de dix ans, ça m'est arrivé deux fois, dont une au lendemain d'une émission spéciale de TVA consacrée au lancement de l'album D'elles, en mai 2007.

Clairement, Céline Dion y avait fait du lip-sync du début à la fin, ce qui n'était pas dans ses habitudes. Pourquoi une interprète aussi douée que Céline se contentait-elle d'offrir du mime vocal à ses fans québécois? Je m'étais mis à faire quelques téléphones pour comprendre. Sans même que je sollicite d'interview officielle, dring, dring, le téléphone a sonné à mon bureau. «Bonjour, c'est René Angélil. Ç'a l'air que vous avez des questions à me poser sur Céline?» 

Dans les premières secondes, j'étais certain que les Grandes Gueules de radio NRJ me jouaient un tour. René Angélil qui me contacte directement, sans passer par son attachée de presse Francine Chaloult? Impossible. Mais c'était bien lui, avec sa voix étouffée si reconnaissable. J'ai balbutié mes questions. Sa réponse a sifflé comme une balle de fusil: «Je ne pense pas que Céline Dion ait besoin de prouver qu'elle sait chanter, on ne parle pas de Milli Vanilli ici.» Bang. L'entrevue avait duré en tout 15 minutes. Fin de la communication.

Pour Céline Dion, avoir un René Angélil qui l'encerclait de barrières était un atout indéniable. Pour nous, journalistes, c'était autrement plus compliqué. Lors de l'inauguration du Colosseum de Las Vegas en mars 2003, l'imprésario avait tenté d'ériger un (autre) rempart entre la chanteuse et la presse écrite du Québec.

René Angélil avait décidé qu'il n'accorderait aucune entrevue à La Presse ni au Journal de Montréal (c'était nettement une autre époque). Raison? Les deux journaux «n'étaient pas assez positifs» envers sa célèbre épouse, jugeait-il.

La collègue Michelle Coudé-Lord de Québecor et moi-même avions alors enterré la hache de guerre pour former une alliance temporaire dont le but était de le faire changer d'idée. Pour accomplir notre mission, il avait même fallu court-circuiter une entrevue télé que René Angélil accordait à Claude Deschênes de Radio-Canada. Notre plan avait fonctionné après des discussions très musclées. J'ai l'impression que René aimait bien se frotter à des gens aussi têtus que lui.

Il était comme ça, René Angélil. Intense, fidèle et acharné. Aujourd'hui, l'ange gardien de Céline s'est envolé. Connaissant son entêtement légendaire, je pense qu'il doit certainement tirer quelques ficelles de là-haut. Il est comme ça, René Angélil. Et il ne changera jamais. Comme le chante si bien sa Céline: «On ne change pas, on met juste les costumes d'autres et voilà, on ne change pas, on ne cache qu'un instant de soi.»