Qu'il s'agisse de Rumeurs, Providence ou Chambres en ville, plusieurs de nos séries québécoises chouchoutes, tout comme leurs consoeurs américaines, ont joyeusement «sauté le requin» au fil des années. Cette pirouette scénaristique malhabile a, hélas! précipité leur déclin et les a fait couler à pic dans nos coeurs de fans, sans possibilité de sauvetage.

L'expression «jumping the shark», qui fait référence à un très mauvais épisode nautique de Happy Days en 1977, s'emploie pour désigner le moment charnière dans une télésérie où l'intrigue devient à ce point absurde, ridicule ou invraisemblable qu'elle décourage le téléphage le plus mordu. Du genre, Bobby Ewing qui ressuscite dans Dallas. Sérieusement, vous nous faites le coup du rêve? C'est re-fu-sé!

Vous avez été nombreux à répondre à mon appel cette semaine concernant les meilleurs sauts de requin effectués dans des productions bien de chez nous. Vos suggestions ont été variées, savoureuses et bien croquantes. Un gros merci. En voici un échantillon juste assez salé.

Le cas de Rumeurs, une brillante comédie signée Isabelle Langlois, est revenu plusieurs fois. À la fin de la cinquième saison, en 2007, les départs d'Esther (Lynda Johnson) et Benoît (James Hyndman) ont démoralisé de nombreux admirateurs, fortement attachés à ces deux personnages principaux. De plus, le changement de facture visuelle et le recentrage de l'histoire autour de la modeuse Hélène Charbonneau (Geneviève Brouillette) ont fait décrocher bien des accros, qui ne reconnaissaient plus du tout leur sitcom pétillante.

Autre cas classique, qui date de 1993. La femme de ménage peroxydée Marilyn (Louisette Dussault), de la quotidienne de la SRC du même nom, se lance en politique municipale, après deux saisons à écornifler sans gêne dans les chambres à coucher de ses clients. Pas très plausible comme retournement. Encore moins probable: Marilyn gagnera même ses élections à la mairie de Montréal! Un saut de requin dont personne ne s'est jamais vraiment remis.

Dans Radio Enfer, une comédie rigolote qui a démarré sur Canal Famille en 1995, le départ de Jean-Lou Duval (Michel Charette) à la fin de la quatrième saison a désappointé ses disciples. Sans les folies et les pitreries de Jean-Lou, ce n'était plus pareil au local de la radio étudiante. La sitcom ne survivra d'ailleurs que deux saisons sans le truculent Jean-Lou.

Morte ou pas morte, Édith Beauchamp (Monique Mercure) dans Providence? La matriarche du téléroman de la SRC, présumée noyée dans un épisode diffusé en novembre 2009, avait finalement orchestré sa disparition avec le capitaine du bateau! Ah, le pouvoir magique d'une mauvaise perruque. C'en fut trop pour nombre d'entre vous, qui avez poussé un long soupir de découragement.

L'accouchement quasi magique - et peu réaliste - de Mimi (Brigitte Lafleur) dans le dernier épisode de La galère 3, en novembre 2010, a sonné, semble-t-il, le début de la fin de cette oeuvre tricotée par Renée-Claude Brazeau. Une chanson de Daniel Bélanger, une sage-femme improvisée et des sourires partout, ne manquait qu'une ribambelle d'oisillons tirant avec leur bec la layette du nouveau-né. Trop Disney.

En mars 2013, les deux épisodes du voyage de pêche catastrophique dans Trauma, avec empoisonnement au phoque et sciage de jambe à frette sur la table de cuisine, ont eu ce même effet dissuasif. Fabienne Larouche aurait-elle appuyé trop fort sur les touches de son clavier?

Chez Chambres en ville, en 1991, le déménagement en appartement de Lola, Pete, Geneviève et Marc-André a ouvert la porte à de nouveaux personnages moins intéressants. Bien sûr, l'auteure Sylvie Payette ne pouvait pas garder Pete Béliveau (Francis Reddy) dans les jupes de Louise (Louise Deschâtelets) encore plus longtemps. Mais mettons que Corneille, Moon Shadow et Vidal étaient pas mal moins intéressants que leurs ancêtres à la pension.

Plus récemment, des lecteurs ayant du flair ont posé la question qui tue: le hold-up commis par Élise et Shandy dans la finale de la deuxième saison d'Unité 9 provoquera-t-il un saut de requin pour le personnage de Micheline Lanctôt?

Faudra surveiller. Car il ne pourrait s'agir que d'un minuscule «bond de méné», que l'on peut plus facilement pardonner.

Je lévite

La finale de Game of Thrones

Voilà une télésérie qui aurait pu sauter le requin à tellement de reprises, mais qui a su éviter les pièges jusqu'à présent. La quatrième saison s'est terminée dimanche soir sur HBO Canada avec une scène de revanche épique dans le camp des Lannister et une bataille encore plus épique mettant en scène l'incroyable Brienne de Tarth. Quelle série fabuleuse.

Je l'évite

La 5e saison de Pretty Little Liars

Assez, c'est assez. En deux épisodes seulement, ce feuilleton pour ados, autrefois délicieusement prenant, a sauté le requin à peu près 15 fois. Il y a des limites à étirer les indices et à balader les télé-spectateurs sur des fausses pistes. Comment les auteurs, qui ont signé jusqu'à la saison sept, feront-ils pour meubler autant de temps d'antenne avec aussi peu de bonne matière? C'est re-ca-lé.