Quand Jacques Lanctôt m'a demandé de lui parler de Michelle Blanc dont il s'apprêtait à rédiger la biographie, j'ai lancé sans trop réfléchir qu'avoir su que c'était une femme, je lui aurais mis la main sur les fesses plus souvent.

Avant de pousser des hauts cris, il est important de souligner que Michelle Blanc, la maîtresse des médias sociaux au Québec, s'est déjà appelée Michel Leblanc. En fait non. Il s'appelait «Rocket». Surnom que lui avaient attribué ses coéquipiers de l'équipe de football des Dynamiques du cégep Sainte-Foy à Québec. Pourquoi Rocket? En raison de ses oreilles mises en évidence par la coupe militaire qu'il arborait encore un an après sa sortie du Collège militaire royal de Kingston.

Michel était ailier défensif. Il était bon à part ça. À titre de secondeur, j'étais juste derrière. C'est lui qui m'ouvrait le chemin pour tenter de rejoindre les quarts-arrières et les porteurs de ballon derrière la ligne de mêlée. Je n'ai pas réussi souvent. Mais oui, je lui ai mis les mains sur les fesses plus d'une fois. D'où la remarque lancée sans réfléchir à Lanctôt qui l'a bien sûr gardée dans la bio.

C'était il y a plus de 30 ans.

À cette époque, Michel n'avait rien d'une femme. Rien de rien. Il était grand, costaud, fort, rapide. Il était drôle aussi. En plein le genre de gars qui aurait pu lancer comme ça, dans les douches, qu'il était une femme. Tout le monde aurait ri. Personne ne l'aurait cru.

Il faut dire qu'en 1980, dans le vestiaire de notre équipe de football, comme dans tout vestiaire d'une équipe composée de gars carburant à la testostérone, il était beaucoup plus risqué de lancer qu'on était homosexuel que de tenter de faire croire qu'on était une femme. À cette époque, dans un vestiaire, on redoutait l'homosexualité bien plus que la défaite. Trente ans plus tard, c'est encore vrai.

La dysphorie d'identité de genre? Ça ne disait rien à personne. Peut-être même pas à celui qui en souffrait.

Et pourtant!

Bise ou poignée de main

C'était la première fois hier que je revoyais Michel en personne. On s'était parlé à quelques reprises au téléphone et avions échangé des gazouillis sur Twitter après sa participation à Tout le monde en parle. Une participation qui m'avait assommé bien plus que tous les coups encaissés lors des matchs disputés à ses côtés. Il m'avait invité à prendre un scotch chez lui pour rencontrer sa femme, brasser des souvenirs, parler de ce qu'on était devenus.

Un brin mal à l'aise, j'avais toujours remis cette rencontre.

Pour une série de raisons sans doute plus mauvaises les unes que les autres, je n'étais pas prêt.

Hier, je l'étais.

Dans le Vieux Montréal, au restaurant l'Autre Versant où se déroulait le lancement de sa biographie, j'ai attendu Michel devenu Michelle, pendant une petite demi-heure. On sait bien!

Les yeux rivés sur la porte, j'appréhendais la rencontre. Ce genre de rencontre, ça fait du bon cinéma - Le monde selon Garp - mais dans la vraie vie?

Ça s'est bien passé.

En raison de prothèses qui rendraient jalouses plusieurs femmes, il était impossible de se frapper le torse comme on le faisait il y a 30 ans sur le terrain pour célébrer un jeu clé. De toute façon, on n'a plus l'âge pour faire ça.

Quand on s'est vu, il, non elle, a souri. J'imagine que j'ai fait pareil. J'ai tendu la main. Il, non elle, m'a regardé en riant et m'a fait... la bise.

On n'a pas eu le temps de parler beaucoup. Ça viendra sans doute.

Pendant qu'il, non elle, faisait le tour de la salle, je la suivais du regard. Les oreilles sont maintenant cachées par ses longues mèches blondes. «Oui, les cheveux sont naturels» qu'il, non elle, m'a lancé avant que j'aie eu le temps de poser la question.

Malgré les chirurgies au haut et au bas du corps qui ont transformé Michel en Michelle, je ne pouvais m'empêcher de revoir celui derrière qui je me cachais sur la ligne de mêlée. Plus grand, ou plus grande que tout le monde, Michelle a encore des mains capables d'engouffrer celles de la majorité des hommes. Des épaules larges et fortes capables de supporter le poids de deux, trois, quatre adversaires. Des épaules solides dont il a eu besoin pour endurer le poids des remarques désobligeantes et des préjugés lors d'une transition loin d'être évidente.

Le monsieur est une madame

En jonglant avec peine entre le masculin et féminin lorsque je parlais de Michel devenu Michelle, je me suis souvenu d'un voyage en famille à Cape Cod il y a quelques étés. Pour échapper à la routine de la plage, on avait poussé une pointe jusqu'à Provincetown. Mes garçons avaient alors croisé des travesties par dizaines. Dans toute leur innocence, Arnaud et Étienne avaient conclu après un certain temps que les «madames» étaient en fait des «monsieurs».

Si les garçons croisent un jour Michelle, c'est l'équation inverse qu'ils devront faire: c'est le monsieur qui est devenu une madame. Pas juste le temps d'un spectacle ou d'un coup de marketing. Pour la vie. J'aimerais pouvoir encore l'appeler Rocket, mais comme elle le demande dans la dernière phrase de sa biographie: Michelle remercie ceux qui l'appelleront dorénavant madame. Je promets d'essayer. Pourvu qu'elle m'accorde le droit de me tromper de temps en temps...