Pour un centre commercial, le Royalmount est beau. Avec agora à ciel ouvert, toit vert, patinoire, salle de spectacle, cinéma, cinéparc, aquaparc. Des commerces, aussi. Et des boutiques haut de gamme, dotées de grandes façades ouvertes sur une esplanade animée, avec restaurants et fontaines.

Il y a juste un ennui : la question n'est pas là.

La question n'est pas de savoir si cet énorme centre commercial est beau, moderne, attrayant. Il l'est. Beaucoup plus que l'amas d'entrepôts négligés sur le bord des autoroutes 15 et 40.

La question, plutôt, est de savoir si Montréal a besoin d'un gigantesque centre commercial comme on en trouve en banlieue.

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Il y a deux façons pour la ville de réagir à la concurrence féroce que lui livrent les DIX30, Carrefour Laval et premium outlets de ce monde : en faisant autre chose ou en faisant la même chose.

Certains experts proposent ainsi de dupliquer ce qui marche ailleurs : d'énormes centres commerciaux et de divertissement qu'il suffit d'adapter à la ville, en les densifiant, en les verdissant.

« Si Montréal ne permet pas à ses citoyens d'avoir accès aux nouveaux types de commerces dernier cri, il est évident que nous en verrons de plus en plus aller magasiner à Brossard et à Mirabel », croit par exemple Gaétan Frigon.

Offrons donc dans l'île ce que les Montréalais vont chercher hors de l'île. Construisons des centres commerciaux en leur ajoutant un caractère urbain, écolo, convivial. Combattons le feu par le feu, en somme.

Mais à ce jeu, l'île ne peut que se brûler. Car la banlieue pourra toujours offrir plus de commerces, plus accessibles, avec plus de stationnements. Elle pourra toujours construire plus gros, plus spectaculaire, quitte à tout démolir quand bon lui semble pour rebâtir, justement, du « dernier cri ». Précisément ce que le DIX30 s'apprête à faire en reconstruisant sa première phase sur le modèle de la ville... avant même de fêter ses 10 ans.

La ville va-t-elle donc vraiment copier la banlieue qui copie la ville pour mieux concurrencer la banlieue ?

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Bien sûr qu'il y a des avantages à construire un centre commercial en plein milieu de ce qui ressemble, aux yeux de certains du moins, à un trou de beigne commercial.

« Le projet Royalmount permettra d'offrir aux résidants de l'île de Montréal ce qu'ils vont chercher sur la Rive-Nord et sur la Rive-Sud, voire à l'extérieur de la province, a indiqué hier Claude Marcotte, de Carbonleo. Il réduira donc les transfuges commerciaux à l'extérieur de l'île. »

Vrai. Le Royalmount grugera des parts de marché au DIX30, surtout au Carrefour Laval. En plus de rapporter des taxes municipales à Mont-Royal et à l'agglomération de Montréal. Ça, c'est pour la colonne des gains.

Mais le projet ne peut se mesurer qu'en additionnant les chiffres d'une colonne, comme le fait la chambre de commerce de Montréal. Il faut soustraire les pertes, aussi. Et elles sont potentiellement nombreuses. À commencer par l'impact sur le Quartier des spectacles et, surtout, sur le coeur commercial de l'île, la Sainte-Catherine.

Il s'agit grosso modo de la même offre commerciale... qui sera assurément cannibalisée. « Des achats qui sont actuellement faits sur Sainte-Catherine vont se déplacer, croit JoAnne Labrecque, professeure à HEC Montréal. La demande n'est pas en croissance, les revenus des commerces non plus. »

Imaginez en plus qu'une grande marque absente de Montréal veuille s'installer dans l'île. J. Crew, disons. Aujourd'hui, elle s'installerait sur la Catherine. Mais dans 10 ans ? Elle se demandera s'il vaut mieux être au centre-ville... ou à Mont-Royal.

Carbonleo n'a d'ailleurs pas caché qu'il rêvait de faire de Royalmount rien de moins que... « le nouveau coeur commercial de l'île de Montréal ».

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L'autre façon qu'a la ville de concurrencer la banlieue, c'est en offrant autre chose qu'une copie du modèle du tout à l'auto, du jeter après usage. C'est en mettant de l'avant ce qui la distingue, son caractère urbain... authentique.

S'il n'y a pas de Sainte-Catherine à Brossard et à Boisbriand, c'est que ces villes ne peuvent créer spontanément une artère commerciale grouillante, avec son histoire, sa notoriété, son cachet.

Montréal possède une telle artère. Une artère en santé, attrayante, pleine de potentiel. Une artère qui sera magnifique après son lifting, avec ses trottoirs chauffants et son nouveau mobilier urbain. Une artère qui sera encore plus attirante si elle est dotée de places piétonnes au square Phillips et sur McGill College.

Veut-on vraiment plomber ce projet prometteur ? Avant la première pelletée de terre ? Uniquement pour retenir les Montréalais qui vont magasiner à Brossard et à Mirabel ?

Qu'un centre commercial en manque d'investissements comme Rockland soit frappé de plein fouet, passe encore. Mais qu'un projet commercial entre en concurrence avec la Sainte-Cat au moment où elle se relèvera d'une modernisation qui aura coûté des dizaines de millions de dollars publics, c'est une aberration.