Je suis passé à un cheveu d'un accident, la semaine dernière. Et ce n'est ni ma faute ni celle du chauffeur qui m'a frôlé.

Je roulais en scooter dans le Vieux-Montréal, rue de la Commune. Non, je ne textais pas. J'avais les deux mains sur les poignées. Il faisait beau. La route était sèche. Il n'y avait donc absolument aucune raison de dévier dangereusement de mon trajet. Et pourtant, c'est précisément ce que j'ai fait. En raison de la succession hallucinante de nids-de-poule qui se trouvaient sur mon chemin.

Je n'étais pas vigilant... j'étais hyper vigilant! Un peu trop, même. Les deux yeux collés sur la route pour éviter que ma roue de 11 pouces ne s'enfonce dans un trou de 4 pouces.

Résultat: je slalomais comme Nanni Moretti dans Caro Diario, évitant les cratères en... me rapprochant un peu trop de la ligne jaune et de la voiture qui circulait en sens inverse.

Il a sacré. J'ai sacré. Juste avant d'avoir une pensée (pas catholique) pour ces maires qui ont laissé les routes se dégrader aussi dangereusement...

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Si la traversée du Vieux-Montréal est aujourd'hui une course à obstacles, ce n'est pas à cause de l'hiver difficile qu'on vient de vivre. Ce n'est pas à cause du gel-dégel qui crée des fissures dans la chaussée. Ce n'est pas à cause de Denis Coderre non plus.

Non, la cause des nids-de-poule, c'est le sous-financement historique des infrastructures par des maires qui ont longtemps choisi de regarder ailleurs. C'est leur négligence qui permet aujourd'hui à l'eau de s'infiltrer, de geler et de tout casser.

Je pense à Jean Drapeau qui, en 1986, a légué à Jean Doré une dette annuelle de 40 millions... et des infrastructures en très mauvais état. Pas le métro ni le Stade, on s'entend. Mais les infrastructures «ordinaires», les routes et les trottoirs.

La Presse avait même qualifié Montréal de «Beyrouth en Québec» en éditorial, à l'époque. «Montréal ne sera plus la ville aux cent clochers et aux mille tavernes, mais la ville aux mille pièges et aux dix mille trous, écrivait l'éditeur adjoint Claude Masson. C'est affreux! C'est épouvantable!»

Même chose sous Gérald Tremblay, qui lui aussi a hérité du sous-investissement de son prédécesseur. Pierre Bourque rêvait davantage aux fusions municipales qu'à des rues carrossables, comme si les rêves de grandeur empêchaient de regarder vers le bas.

Quelqu'un se souvient des «nids-de-Bourque» ? Ou de ces chauffeurs de la STCUM qui refusaient de rouler sur une portion du boulevard Henri-Bourassa à cause du nombre élevé de nids-de-poule? L'un d'eux s'était retrouvé avec un lumbago...

Autant de témoins du sous-financement crasse qui a miné pendant des décennies les infrastructures de la métropole. Un sous-financement qui a créé un tel déficit d'entretien que peu importe ce qu'on fait, peu importe les sommes investies, on doit vivre aujourd'hui avec des nids-de-poule qui semblent chaque année plus profonds, et plus nombreux.

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J'ai appris que CAA-Québec allait lancer demain une nouvelle initiative. Un site web où les automobilistes seront appelés à dénoncer les pires routes du Québec (piresroutes-caaquebec.com). L'idée est de dresser un top 10 afin de mettre de la pression sur les élus.

Je vais voter pour la rue de la Commune, sans aucune hésitation. Il y a ces trous de 4 pouces à répétition qui m'ont fait frôler le face à face, mais il y a aussi ces énormes plaies béantes d'où émergent de vieux pavés. Et je pense même avoir vu des rails de tramway.

Mais, entre vous et moi, je ne me fais pas d'illusion: le problème ne disparaîtra pas pour autant. On réglera peut-être celui de quelques nids-de-poule en dénonçant leur profondeur, mais on ne réglera pas le problème des nids-de-poule. Tout simplement parce qu'il faut distinguer le symptôme et le mal.

Le symptôme, c'est ce qu'on vit chaque printemps. C'est l'état des routes aux quatre coins de l'île. Ce sont les nids-de-poule devenus nids d'autruche. Ce sont même les hausses constantes de budgets décrétées par l'administration Tremblay, puis par l'administration Coderre, qui investira comme personne ne l'a fait avant lui.

Mais le mal, c'est l'absence d'entretien qui a précédé pendant trop longtemps.