Wow! Le boulevard Saint-Laurent aimerait installer un long fil ornemental en suspension, zigzaguant de lampadaire en lampadaire, de la rue Sherbrooke jusqu'à l'avenue du Mont-Royal.

Une longue guirlande de 8000 pieds et 4000 ampoules qui, à l'approche de Noël, embellirait assurément une artère qui en arrache, attirant à la fois l'attention, les piétons et les consommateurs.

Mais il y a juste un tout petit problème de rien du tout...

La Ville a dit non.

Un non sans appel, sans suggestion ni alternatives. Juste non, comme dans n, o, n. Non. Pas question.

Et après, on se désolera que Montréal manque d'audace, est incapable de mettre sa créativité en valeur, n'a rien de beau à offrir, et bla, bla, bla qu'on étende son mépris. Comme si l'absence d'inspiration était son problème.

Or trop souvent, le problème de la ville, c'est la Ville.

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Le projet de la Société de développement du boulevard Saint-Laurent est exactement ce qui manque à Montréal. Une idée qui émane de la base, qui se finance sans aide publique, et qui profite à tous les citoyens.

C'est une idée qu'on trouverait merveilleuse si elle voyait le jour à Copenhague. Une idée comme il s'en proposera à la pelletée lundi, dans le cadre de Je vois Mtl. Une idée... qui n'entre dans aucune case des fonctionnaires.

Je ne veux pas généraliser. Je sais qu'il y a un paquet de fonctionnaires soucieux de créativité et de design. J'oserais même dire qu'ils sont nombreux. Mais le processus administratif à Montréal est si kafkaïen, si long et complexe, qu'il suffit d'un seul fonctionnaire blasé pour leur faire contrepoids à tous.

«On voulait créer un effet wow avec le corridor de lumière, explique Glenn Castanheira, directeur de la Société de développement. C'était un projet payé à même notre budget. Tout était financé, prévu. Il manquait juste le permis...»

Un permis dont il n'a jamais vu la couleur. Même si les élus du Plateau sont favorables au projet. Même si le maire Coderre l'est aussi.

D'abord parce que les travaux publics ont refusé sec, évoquant toutes les raisons qu'on peut évoquer quand on cherche des raisons pour refuser (lampadaires inadaptés, entretien difficile, installation de câbles perpendiculaires à la rue interdite, etc.)

Ensuite parce que le service incendie a tellement l'habitude de tout bloquer au nom du sacro-saint risque zéro que les fonctionnaires ne prennent même plus la peine de lui demander son avis. Les pompiers n'ont donc pas dit non à ce projet. On a prévu qu'ils diraient non parce qu'ils disent toujours non.

On est rendu là.

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Le pire, c'est que le projet est certes original. Il aurait égayé l'artère commerciale. Mais il ne s'agit quand même pas du Moulin à images de Robert Lepage.

Il s'agit d'une variante de la canopée de Noël qu'on retrouve dans bien des villes du monde, comme Londres, Bruxelles, Chicago, Boston, Melbourne, Denver. Et Coaticook. Coaticook où on a d'ailleurs pu admirer la superbe Foresta Lumina de Moment Factory l'été dernier.

Oui, oui, la métropole se fait donner des leçons de créativité par une municipalité de moins de 10 000 habitants...

Remarquez, il est encore possible de faire de grandes choses à Montréal. Mais il faut être doté d'une volonté du tonnerre et d'une énergie du désespoir. «Tous défis confondus, m'a déjà dit Lise Bissonnette, traiter avec la bureaucratie de Montréal a détenu la palme.»

Pensons, en terme d'exemple, à la promenade des bouquinistes de la Grande bibliothèque que Mme Bissonnette a dû pousser pendant... 10 ans. Pensons au «jardin de pavots» du Musée des beaux-arts et aux fontaines Bornéo du Plateau, qui ont eu grand-peine à se réaliser en raison des objections des pompiers. Pensons aux boules roses de Claude Cormier, une installation qui a nécessité trois ans et demi d'acharnement pour voir le jour.

«À Montréal, il y a trop d'acteurs à convaincre, trop de monde autour de la table, trop de règlements, raconte l'architecte paysagiste Claude Cormier. Ce n'est pas sorcier, tout est compliqué. Surtout lorsqu'il est question de sécurité.»

Je pose donc la question. Pour un Cormier ou une Bissonnette capable de se battre pendant des années, combien d'idéateurs ont baissé les bras? Combien ont proposé leur projet ailleurs?

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Ça me fâche d'avoir l'air de prôner un désengagement de l'État, de la Ville. Au contraire, je suis de ceux qui croient en leur nécessaire rôle d'intervention, de soutien, d'encadrement.

Mais le mandat d'une Ville n'est pas de nuire à la ville. Ce n'est pas d'empêcher l'imaginaire de s'exprimer. Ce n'est pas de laisser ses pompiers brandir tous les règlements et lois qui interdisent la fantaisie. Ce n'est pas de contrarier la création, mais bien d'en être un facilitateur, un accompagnateur.

J'ai mis le cabinet du maire Coderre au parfum du projet de lumières, hier. Ce dernier se dit favorable. Les élus de l'arrondissement se disent eux aussi favorables. Il n'est donc pas trop tard. Tout comme il n'est pas trop tard pour envoyer, avant la tenue de Je vois Mtl, un message clair à «la machine».