Je m'interroge sur la question depuis des années. Jusqu'à quel point les subventions versées aux festivals et grands événements en valent-elles la peine, du point de vue économique?

Déjà, lorsque les Expos quêtaient des subventions, en 1999, la question m'occupait l'esprit. J'avais conclu que seules les retombées économiques provenant des touristes hors Québec méritaient d'être prises en compte, essentiellement.

Pourquoi donc? Eh bien parce ces touristes injectent de l'argent frais dans notre économie, qui n'aurait pas été obtenu autrement. À l'opposé, l'argent provenant des spectateurs du Québec aurait été dépensé autrement dans notre économie s'il n'y avait pas eu de baseball. Et que cet argent dépensé autrement aurait tout autant contribué à faire progresser notre économie (notre produit intérieur brut ou PIB).

Ce qui m'amène à vous parler du travail remarquable de Vincent Brousseau-Pouliot, paru mardi. Mon collègue a réussi à obtenir, de chacun des festivals et événements, les retombées économiques des touristes locaux et hors Québec, notamment. Il a aussi colligé les subventions versées par le municipal, le provincial et le fédéral 1.

M'est avis que ces données devraient être aisément accessibles sur le web et non publiées après l'aboutissement de tels efforts journalistiques, mais bon, c'est un autre sujet.

Le travail de Vincent permet donc de répondre à ma question : quels festivals nous en donnent le plus pour notre argent public2 et lesquels sont « rentables » économiquement? Les résultats sont intéressants. Voyons voir.

D'abord, il faut savoir que nos gouvernements versent annuellement environ 41 millions de dollars de subventions pour les 12 événements de l'étude. Comme ces événements procurent 134 millions de retombées économiques provenant touristes hors Québec, on peut conclure qu'en moyenne, nos gouvernements versent 30 $ de subventions pour chaque tranche de 100 $ de retombées économiques réelles.

L'événement le plus rentable, du point de vue des fonds publics, est évidemment celui qui ne reçoit pas de subvention, ou presque, soit la Coupe Rogers 1. Le tournoi de tennis attire bien des spectateurs de l'extérieur du Québec, et il en résulte des retombées économiques annuelles de 5,9 millions.

Au second rang vient l'International des Feux Loto-Québec, à La Ronde, qui coûterait aux gouvernements seulement 2 $ de subventions pour 100 $ de retombées économiques externes, en supposant que les chiffres fournis par l'organisation sont bien exacts.

Mais ce sont les deux festivals qui suivent dans le palmarès qui apparaissent être les plus rentables pour les fonds investis, et de loin. 

Ainsi, le festival de musique Osheaga, au parc Jean-Drapeau, coûte seulement 10 $ de subventions pour 100 $ de retombées réelles nettes, celles venant de touristes hors Québec.

Ensuite, le Festival de Jazz coûte aux gouvernements seulement 17 $ de subventions pour 100 $ réellement ajoutés au PIB du Québec. Le Carnaval de Québec et Fierté Montréal suivent, à 28 $ et 33 $.

À partir de ce niveau, cependant, la rentabilité économique commence à être discutable. En effet, le gouvernement ne perçoit alors pas suffisamment de recettes fiscales pour compenser ses subventions. 

Plus précisément, pour chaque tranche de 100 $ de retombées, le gouvernement ne collecte pas plus de 28 $ de recettes fiscales, grosso modo. C'est donc dire que les subventions commencent à excéder les recettes fiscales et il n'est donc pas clair que le jeu en vaille la chandelle, du point de vue économique 2.

Les six autres événements de l'étude coûtent plus de 33 $ par 100 $ de retombées nettes et il y a lieu de s'interroger sur leur rentabilité, selon cet indicateur. Parmi eux figurent le Festival Juste pour rire, le Grand Prix F1 et les FrancoFolies, notamment, dont les subventions par 100 $ de retombées économiques nettes sont respectivement de 43 $, 53 $ et 196 $.

Cet indicateur des retombées économiques venant de touristes hors Québec - et cet argumentaire - a ses limites, bien sûr. D'une part, le travail de mon collègue nous donne un aperçu de la réalité des chiffres, mais il n'a pu mettre la main sur les documents qui donnent le détail des estimations.

D'autre part, l'impact à l'étranger de certains événements sur l'image de Montréal n'est pas pris en compte dans les calculs. Le Grand Prix de F1 et le Festival Juste pour rire contribuent au rayonnement de Montréal, ce qui peut être comparé à de la publicité, mais est-ce suffisant pour combler les subventions?

Enfin, les subventions qui mettent directement notre culture en valeur n'ont pas à être justifiées par la seule rentabilité économique et fiscale, à mon avis. 

Les événements qui font grandir notre culture rendent notre société plus solide, plus solidaire et ajoutent à la cohésion sociale. Et une telle force culturelle finit par être bénéfique pour l'ensemble de notre développement social et économique.

Cela dit, ce genre d'indicateur nous permet de nous interroger sur les choix que nous faisons. Est-il justifié de verser, pour un événement, deux fois plus de subventions que les retombées économiques nettes réelles, soit celles qui viennent de l'extérieur?

Ou encore d'injecter deux à trois fois plus de fonds publics que les rentrées fiscales réelles pour des spectacles d'humour? Surtout quand on sait que les profits de ces spectacles sont empochés par de riches entreprises telles BCE et le Groupe CH?

Dit autrement, jusqu'à quel point faut-il subventionner quels événements? S'agit-il des meilleurs véhicules pour soutenir notre culture?

1. Les sommes versées par Tourisme Montréal ne sont pas incluses et on ne sait pas si, par exemple, la Coupe Rogers en reçoit. Globalement, Tourisme Montréal a versé 3,1 millions à 58 festivals en 2017.

2. Mon collègue a pu obtenir les recettes fiscales tirées de touristes hors Québec pour seulement quelques événements. Toutefois, à partir de ces données, il est possible d'estimer que 100 $ de retombées économiques globales (des touristes du Québec et hors Québec) rapportent entre 16 et 28 $ de recettes fiscales, pour une moyenne de 22 $.