Au Québec, l'impact de l'abandon d'Énergie Est ne sera pas économique. Ou si peu. Il sera surtout politique.

Dans l'Ouest canadien, d'aucuns attribuent l'échec du projet à l'opposition du Québec. Et cette grogne, qui dure depuis trois ans, continuera d'envenimer les relations du Québec avec l'Ouest pour des années.

Hier, dès l'annonce de TransCanada, ce mécontentement s'est rapidement propagé sur les réseaux sociaux. Le maire de Montréal, Denis Coderre, est ciblé, lui qui s'était fermement opposé au projet. Pourquoi aider Bombardier et pas Énergie Est ? se demande-t-on dans l'Ouest.

Ce sentiment anti-Québec, je l'ai bien senti lors d'un séjour à Cuba, au printemps 2016, quelques semaines après le non de Coderre. À la fin d'une des journées, las de la plage, nous nous sommes rendus au grand spa du complexe hôtelier, où se trouvait déjà un couple. Tiens, des Albertains ! How are you ?

En constatant que j'étais Québécois, l'homme du couple, dans la soixantaine, s'est fermé comme une huître, me toisant du regard. L'atmosphère est devenue si glaciale que l'eau du spa m'est soudain apparue nettement plus tiède. Exit le spa...

Pour le Québec, cela dit, l'impact économique de l'abandon d'Énergie Est ne sera pas majeur.

Au terme de son projet, TransCanada estimait avoir besoin de seulement 33 employés permanents au Québec. Certes, 1500 emplois directs auraient été créés pour la construction au Québec, mais pendant quatre ans seulement. Quant aux impôts annuels au Québec, ils auraient été somme toute plutôt faibles.

Non, l'impact, il sera surtout politique. D'ici 2019, les provinces doivent entamer des discussions avec le fédéral sur les paramètres du programme quinquennal de péréquation. Dans le contexte de l'abandon d'Énergie Est, vous pouvez être assuré que l'Ouest fera tout ce qui est possible pour assécher le Québec.

L'Alberta et la Saskatchewan, faut-il le rappeler, ne touchent pas un sou de péréquation du fédéral malgré la crise budgétaire qui y sévit. Pendant ce temps, le Québec engrange environ 11 milliards par année. Hier, le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, a justement refait le lien péréquation-pétrole et fustigé Trudeau et Coderre.

LA FAUTE AU PRIX DU PÉTROLE

Le plus malheureux, c'est que la répercussion négative contre le Québec ne sera pas méritée. En effet, ce n'est pas tant le Québec ou même les environnementalistes qui ont forcé TransCanada à jeter l'éponge que des paramètres économiques incontournables, comme le prix du pétrole.

Bien sûr, la levée de boucliers des environnementalistes a retardé le projet. Au départ, la construction du pipeline devait commencer cette année, rappelons-le. Sans cette opposition, la conduite de 4600 kilomètres aurait peut-être déjà commencé à être enfouie sous terre.

Sauf qu'aujourd'hui, c'est le prix déprécié du pétrole de même que l'autorisation de deux autres projets de pipeline qui ont changé la donne.

Peu après son élection, Donald Trump a donné le feu vert au projet nord-sud Keystone XL Pipeline, de TransCanada. Et dernièrement, le réseau Trans Mountain, vers le Pacifique, a reçu l'assentiment des autorités.

Du coup, le pétrole extrait des sables bitumineux n'a plus besoin de nouveaux tuyaux pour être acheminé, puisque la capacité des deux autres projets sera amplement suffisante.

Un troisième pipeline aurait pu être nécessaire pour absorber le pétrole des futurs investissements. Le hic, c'est que ces projets ne sont pas près de voir le jour avec un prix du baril albertain qui se maintient sous les 40 $US, loin du seuil de rentabilité.

Hier, d'ailleurs, les investisseurs en Bourse ont jugé que l'abandon du projet état une bonne nouvelle pour TransCanada, le titre s'appréciant de 1,1 %, à 61,55 $, malgré la charge d'un milliard qui sera passée aux résultats du 4e trimestre.

Enfin, tôt ou tard, il faudra bien faire des choix difficiles. Si l'on veut atteindre les cibles mondialement partagées de l'accord de Paris sur le climat, il faudra à terme diminuer l'extraction de pétrole - et d'abord le pétrole le plus sale.

L'objectif de Paris est de réduire de 10 à 30 % les émissions mondiales de gaz à effet de serre d'ici 2030 afin de limiter le réchauffement et minimiser ses conséquences dramatiques.

Oui, j'en conviens, il faut surtout influencer la demande de pétrole plutôt que l'offre pour y parvenir. Et cette demande continue d'être en croissance. Il n'empêche que la construction de pipelines contribue à diminuer les prix du pétrole extrait et à favoriser son exploitation.

Maintenant que le projet est abandonné, ne devrait-on pas en profiter pour envisager l'avenir différemment ?