Tout pris en compte, les Québécois ne sont pas les 57e plus pauvres en Amérique sur les 61 États et provinces. Le niveau de vie des ménages du Québec se classe plutôt au 31e rang, selon une analyse de notre chroniqueur Francis Vailles. Et leurs revenus ont crû bien davantage que la moyenne américaine depuis 20 ans.

Depuis des années, les Québécois se font dire qu'ils sont parmi les plus pauvres en Amérique du Nord. Qu'ils ont une économie stagnante, moribonde.

Encore récemment, le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, me répétait que le Québec est au 57e rang sur 61 États nord-américains pour le produit intérieur brut (PIB) par habitant(1). Selon lui, il faut donner un électrochoc à notre économie.

Ce constat étonne quand on connaît la grande pauvreté de certains États supposés plus riches que le Québec, comme la Géorgie, la Virginie-Occidentale, l'Alabama, le Nouveau-Mexique, le Tennessee ou la Louisiane, pour ne nommer que ceux-là.

Les familles québécoises sont-elles aussi pauvres qu'on le dit ? Pour en avoir le coeur net, j'ai comparé les revenus avant impôt des ménages des 61 États et leur évolution depuis 20 ans. J'ai pris le revenu médian, soit le point milieu de l'échelle de distribution, qui est universellement reconnu comme plus représentatif que la moyenne, elle-même trop influencée par les très hauts revenus. J'ai également tenu compte du coût de la vie de chacune des régions comparées.

Le portrait change radicalement, mes amis. D'abord, en comparant le revenu des ménages plutôt que le PIB par habitant, le Québec passe du 57e au 46e rang. Ensuite, en ajustant les données pour tenir compte du coût de la vie, nous remontons au 31e rang !

Dit autrement, le niveau de vie des Québécois est au beau milieu du peloton nord-américain, devant tous les États nommés ci-dessus, mais également devant la Floride, le New Jersey et le Maine.

Concrètement, le ménage québécois médian gagnait 59 200 $CAN en 2014, selon Statistique Canada. Cette somme équivaut à 49 600 $US une fois convertie pour tenir compte des différences de pouvoir d'achat moyen entre le Canada et les États-Unis. Ces 49 600 $US placent le Québec au 46e rang(2).

Maintenant, le coût de la vie diffère entre les deux pays, mais aussi selon les régions. Par exemple, un steak T-bone au Texas coûte 9,44 $US la livre, comparativement à 11,38 $US en Alaska. Même genre de constat pour le logement, l'habillement, l'essence et tutti quanti.

Ainsi, deux ménages semblables à deux endroits différents qui gagnent 60 000 $ chacun n'ont pas le même niveau de vie si les prix sont très différents.

Au Canada, Statistique Canada établit les différences de coût de la vie entre les grandes villes des provinces canadiennes. Aux États-Unis, c'est le Council for Community and Economic Research (C2ER) qui fait l'exercice depuis 1968.

Dans les deux cas, les milliers de données sur les prix, taxes incluses, permettent de faire un indice global, avec une base de 100 pour chacun des deux pays. Par exemple, pour 2014, l'indice est de quelque 134 en Alaska contre 96 au Texas, ce qui correspond à un écart de 40 % dans les prix. À Montréal, l'indice est de 94, tandis qu'il est de 108 à Toronto.

Bref, en tenant compte de ces indices, il est possible de ramener les revenus sur une base comparable. Ainsi, le revenu du ménage médian du Québec passe à 52 800 $US, ce qui nous place au 31e rang. Au sommet se trouvent les principaux États pétroliers, notamment l'Alberta (78 900 $US), l'Utah (68 200 $US), la Saskatchewan (65 400 $US) ou le Dakota du Nord (60 700 $US).

En queue de peloton, loin derrière, on retrouve la Virginie-Occidentale (40 000 $US), durement frappée par les fermetures de mines de charbon ces dernières années, de même que le Mississippi (40 300 $US), dont la croissance des revenus a été anémique (2 % depuis 10 ans !).

Il s'agit d'ordres de grandeur, bien sûr, mais ils donnent un portrait plus représentatif de la réalité du ménage type de chaque région que le PIB par habitant. L'onglet suivant présente une carte avec l'ensemble des 61 États et provinces(3).

Selon les économistes Pierre Fortin et Luc Godbout, la méthode tient la route. « Dans l'ensemble, c'est une belle approximation des écarts de revenus », dit Luc Godbout.

« La méthode m'apparaît bien correcte, dit Pierre Fortin. Et les résultats permettent aux Québécois d'arrêter de s'autoflageller. »

Certains pourraient arguer que les Québécois paient plus d'impôts qu'ailleurs et qu'il faudrait comparer les revenus après impôts. Le hic, c'est qu'aux États-Unis, les Américains doivent assumer une facture plus lourde qu'au Québec avec leurs revenus après impôts (santé, médicaments, électricité, assurance auto, universités, garderie, etc.).

François Legault n'a pas tort de dire que le Québec est au 57e rang sur 61 pour le PIB par habitant, et il faut s'en préoccuper. Outre les différences de prix entre les régions, trois raisons peuvent expliquer l'écart entre cette approche et celle des revenus des ménages (31e rang).

Premièrement, le PIB par habitant s'apparente à une moyenne de revenus par personne plutôt qu'à une médiane. Or, la moyenne est poussée vers le haut aux États-Unis en raison des très hauts revenus.

Deuxièmement, les mécanismes de redistribution plus importants au Québec et au Canada ont tendance à rehausser les revenus médians, davantage qu'aux États-Unis.

Troisièmement, le revenu des ménages n'est qu'une des trois composantes du PIB. Le revenu net des entreprises est l'autre principale composante et, dans une moindre mesure, celui des gouvernements. Il est possible qu'au Québec, les entreprises aient un revenu moindre qu'aux États-Unis, toutes proportions gardées, ce qui ferait baisser le PIB par habitant.

Quoi qu'il en soit, le ménage type du Québec gagne pratiquement autant que son équivalent américain, tout pris en compte. Et ça change drôlement la perception de notre niveau de vie relatif.

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1. Les 61 régions sont les 10 provinces canadiennes et les 50 États américains, auxquels il faut ajouter la capitale Washington, dans le district de Columbia.

2. Au Canada comme aux États-Unis, les ménages comptent en moyenne 2,5 personnes. Au Québec, c'est 2,3.

3. L'indice des coûts de la vie a été difficile à estimer pour l'État de New York parce que les écarts entre les villes sont très grands. Le quartier de Manhattan a un indice de 220, tandis que la ville de Buffalo est à 102. Nous avons estimé l'indice pour les neuf principales villes de l'État de New York à 125, mais il faut garder cette réserve à l'esprit.

Trump, la colère américaine et les Québécois

Vous voulez comprendre la colère d'une certaine classe moyenne américaine, qui a voté pour Donald Trump ?

Pour ce faire, il suffit d'observer la croissance anémique des revenus des ménages américains depuis 10 ou 20 ans. Et de constater, ce faisant, que le parcours du Québec et du Canada n'est pas du tout le même.

En 2014, le ménage médian américain gagnait 53 700 $US. Depuis 10 ans, ses revenus ont crû de 21 %, mais en retranchant l'inflation, le ménage médian a un moins grand pouvoir d'achat qu'en 2004. Nul doute que la crise financière de 2008 a frappé fort chez l'oncle Trump.

En comparaison, le Canada et le Québec ont vu le revenu médian des ménages croître deux fois plus rapidement, soit de 42 % et 38 %. Tant et si bien qu'aujourd'hui, les Canadiens gagnent plus que les Américains, avec 57 990 $US, tandis que les Québécois s'en approchent (50 000 $US).

Cela dit, en tenant compte du coût de la vie plus bas au Québec, on peut même estimer que le revenu médian des Québécois équivaut à 52 800 $US, soit seulement 1000 $US de moins que la médiane américaine.

Floride et Caroline du Nord

Comme toujours, les écarts sont grands entre les régions. Aux États-Unis, le revenu des ménages a progressé de moins de 20 % dans 17 États depuis 10 ans. Parmi eux se trouvent deux des États clés remportés par Donald Trump, soit la Floride (+ 14 %) et la Caroline du Nord (+ 16 %).

En Floride, par exemple, le ménage médian gagnait en 2014 l'équivalent de 45 700 $US, si l'on considère que le coût de la vie est environ 1 % plus élevé que la moyenne. C'est tout de même 7100 $US de moins qu'au Québec !

Globalement, la croissance de 38 % des revenus depuis 10 ans place le Québec au 14e rang nord-américain à ce chapitre.

Parmi les 13 États qui le précèdent se trouvent huit provinces canadiennes (sauf l'Ontario, à 30 %). Surtout, 4 des 13 régions ont d'importants gisements de pétrole, notamment l'Alberta, la Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador et le Dakota du Nord.

Pour les curieux, sachez que tous les États limitrophes au Québec ont connu des croissances moindres qu'ici depuis 10 ans, sauf le Nouveau-Brunswick (+ 43 %). Le New Hampshire a vu le revenu médian de ses ménages progresser de 29 %, le Vermont, de 28 %, le Maine, de 25 % et l'État de New York, de 22 % (la progression au Massachusetts est de 21 %). Ce calcul est AVANT la prise en compte des différences de coût de la vie.

Croissance depuis 20 ans

La progression du Québec s'explique beaucoup par les problèmes de ses voisins depuis la crise financière. N'empêche, sur un horizon plus long, soit 20 ans, le Québec se classe 17e sur 61 États pour la croissance du revenu médian des ménages (voir tableau).

En conséquence, le niveau de vie du ménage médian du Québec a grimpé dans l'échelle depuis 20 ans. Ainsi, en tenant compte des différences de coût de la vie, le Québec est passé du 53e rang en 1994 au 46e rang en 2004 et se place aujourd'hui au 31e rang. Et c'est bien tant mieux !