Lundi, Gaétan Barrette a passé le plus clair de l'entretien téléphonique à m'expliquer que nos médecins ne gagnent pas plus qu'en Ontario. Qu'ils ont certes rattrapé leurs collègues ontariens en tenant compte de notre coût de la vie, mais pas plus, contrairement à ce qui est véhiculé.

Selon ses dires, la méthode de comparaison utilisée dans les médias - notamment par votre humble chroniqueur - comporte un biais qui désavantage nos médecins. « Vous pouvez appeler la FMSQ [le syndicat des médecins spécialistes], ils vont vous expliquer la patente », m'a-t-il dit.

N'est-ce pas curieux ? Pourquoi vouloir redorer le portrait salarial des médecins à la veille d'une négociation ? Pourquoi reprendre le discours des syndicats de médecins ? 

Qu'il ait tort ou raison sur les chiffres, n'est-il pas plus avantageux, stratégiquement, de garder le silence ?

Dans ce contexte, il n'est pas surprenant que Philippe Couillard lui ait retiré la direction des négociations pour la confier à Maurice Charlebois, du Conseil du trésor. La décision a rendu Gaétan Barrette furieux.

Comme négociateur en chef, Barrette était dans une position intenable. D'abord, il était celui qui, au cours des années 2000, avait mis toutes ses énergies pour redresser la rémunération des médecins, alors nettement sous la moyenne canadienne. Or, il devait maintenant tout faire pour la contenir. Tout un défi de perception !

Ensuite, Barrette devait freiner les attentes de la population et de l'opposition, qui réclament un gel de plusieurs années.

La comparaison biaisée dont parle Barrette a été développée par le respectable Institut canadien d'information sur la santé (ICIS). Selon la méthode de l'ICIS, nos médecins en équivalent temps plein (ETP) qui sont payés à l'acte gagnent 12,6 % de plus que leurs collègues ontariens.

L'écart est plus grand pour les médecins spécialistes (22,5 %) que pour les médecins de famille (6,7 %). Il prend des proportions injustes quand l'on tient compte du coût de la vie plus faible au Québec, d'environ 10 %.

Barrette dit aujourd'hui que la méthode de l'ICIS ne doit pas être retenue. D'abord, dit-il, la méthode surestime les catégories de médecins qui ont obtenu les plus fortes hausses depuis 2007 et fait abstraction des médecins qui, au contraire, ont obtenu moins.

Sans le savoir, l'ICIS fait des comparaisons « qui ne reflètent pas la réalité », dit-il. Entre autres, les radiologistes et les médecins en laboratoires sont absents des comparaisons de l'ICIS, eux qui comptent pour 14 % du total des spécialistes. Or, ces 14 % auraient eu des hausses moindres, soutient-il.

Selon Barrette, nos médecins gagnent dans les faits environ 10,9 % de moins qu'en Ontario. En tenant compte de notre coût de la vie plus bas (10 %), la différence est nulle. D'ici 18 mois, une étude sera faite avec la collaboration de la province voisine pour tirer l'affaire au clair, dit-il.

À ce sujet, trois remarques. D'abord, il est vrai que l'ICIS ne tient pas compte de certaines catégories de médecins et de toutes les formes de revenus. Toutefois, sur les 17 catégories de médecins spécialistes prises en compte par la méthode de l'ICIS, 14 ont une rémunération plus élevée au Québec qu'en Ontario.

Ensuite, pour les catégories de médecins non incluses, on ne sait pas bien comment les autres provinces ont fait varier la rémunération. Dans l'Ouest, des provinces ont aussi freiné la rémunération des radiologistes, comme au Québec.

Enfin, à peu de choses près, la méthode utilisée par l'ICIS est celle-là même qu'avait retenue la FMSQ au milieu des années 2000 pour prouver la sous-rémunération des médecins spécialistes. Cette méthode est plus précisément appelée TPETP, sigle pour « temps plein et équivalent temps plein ».

Au téléphone, Barrette le nie avec véhémence. « C'est une méthode qui a littéralement été imposée par le gouvernement à l'époque et qui a été un blocage. La méthode acte par acte donnait des résultats effrayants pour le Ministère, car les écarts étaient alors de moins 47 % pour les médecins québécois dans la plupart des cas. »

Les faits ? En novembre 2004, un comité d'étude a déposé un rapport de 62 pages sur les diverses méthodes de comparaison. Et la FMSQ (dont Barrette est devenu président en 2006) disait clairement favoriser la méthode TPETP.

« Selon les représentants de la Fédération, cette méthode est donc devenue la méthode la plus raffinée pour comparer la rémunération des médecins spécialistes canadiens et déterminer les écarts de rémunération. Selon cette méthode, l'écart constaté selon le poids du Québec est de 47,3 % », est-il écrit à la page 98.

Pour sa part, le gouvernement jugeait « la méthode des déciles la plus cohérente et la plus pertinente », ce qui donnait un écart de 35,9 % pour les spécialistes (environ 25 % après l'écart du coût de la vie).

Aujourd'hui, l'ICIS persiste à dire que la méthode TPETP pour la rémunération à l'acte, bien qu'imparfaite, est la plus proche de la réalité, surtout pour les spécialistes, dont 84 % de la rémunération est encore à l'acte, au Québec comme en Ontario.

Conclusion de tout ça ? La comparaison est complexe et doit être raffinée, mais elle continue à donner un portrait troublant pour les contribuables. Le contexte justifie amplement que Gaétan Barrette soit relégué au simple rôle de conseiller plutôt que désigné chef des négos.