Vous connaissez l'expression québécoise « le diable est aux vaches » ? Elle signifie que la chicane est prise, que le désordre règne.

La définition colle très bien au chantier du nouveau Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM). Au cours des dernières semaines, deux sous-traitants ont entrepris des démarches judiciaires pour se faire payer. Leurs réclamations s'élèvent à 5,4 millions de dollars.

Cette somme s'ajoute aux dispositions entreprises par une firme américaine en mai, dont la réclamation s'élève à 5,3 millions. Et hier, nous avons appris que deux autres sous-traitants envisageaient d'entreprendre, eux aussi, des contestations.

Ces problèmes s' ajoutent - ou se conjuguent - à ceux révélés cet été dans La Presse. Des employés se sont plaints du manque flagrant de planification sur le chantier. Des murs sont refaits à répétition, des systèmes de ventilation sont jetés, des kilomètres de tuyaux sont remplacés, des toilettes préfabriquées sont détruites.

Le diable est aux vaches, donc, pour ce volet de 3,1 milliards du projet, qui est censé être livré le 6 novembre, mais qui sera encore retardé, vraisemblablement. Cette fois, les démarches des sous-traitants prennent la forme de ce qu'on appelle des hypothèques légales, qui sont enregistrées au registre foncier à l'encontre du bâtiment en construction du nouveau CHUM.

Règle générale, les sous-traitants prennent de telles hypothèques lorsqu'ils n'ont pas été entièrement payés pour leur travail et leurs matériaux dans les délais prévus au contrat, soit 30 jours, parfois 60 jours.

Ces hypothèques visent directement l'entrepreneur général Construction Santé Montréal (CSM), formé de l'espagnole OHL et de la britannique Laing O'Rourke. OHL, rappelons-le, a vu sa cote de crédit abaissée au rang peu enviable de B3, récemment, signe d'une situation financière risquée.

Ces hypothèques légales ne sont pas nécessairement exceptionnelles pour de grands projets, notamment si les sous-traitants veulent être payés davantage que ce qui est inscrit sur leur contrat en raison des extras. Tout indique, d'ailleurs, que les travaux maintes fois repris alourdiront la facture d'origine.

Toutefois, ces hypothèques peuvent avoir des conséquences fâcheuses, surtout si elles sont nombreuses. De fait, le promoteur qui a embauché l'entrepreneur général pour gérer les travaux peut alors geler ses avances, du moins pour les sommes en jeu. Raisonnement du promoteur : pourquoi je continuerais à te faire des avances si, de ton côté, tu ne paies pas tes fournisseurs ? Plus encore : si tu ne les paies pas, il est possible que tes sous-traitants exigent la vente sous contrôle de justice du CHUM, ce qui m'en ferait perdre le contrôle.

Dans le cas du nouveau CHUM, paradoxalement, le promoteur Collectif Santé Montréal (CSM) se confond avec l'entrepreneur général Construction Santé Montréal (CSM). Le premier CSM est formé de trois commanditaires. Le deuxième CSM - l'entrepreneur général - est formé de deux des trois mêmes commanditaires.

De son côté, le locateur du CHUM, le gouvernement du Québec, dit ne pas être touché par ces problèmes. Le CHUM est construit en mode PPP et ce sont les entreprises du PPP qui assument tous les risques, répète-t-il.

Le hic, c'est que ces hypothèques légales risquent d'entraîner des délais. Le gouvernement ne pourra probablement pas prendre livraison du nouveau CHUM - et payer son loyer - si les hypothèques légales ne sont pas réglées. Or, ces délais repousseraient la construction de la dernière phase, le printemps prochain (hôpital Saint-Luc), et retarderaient le déménagement des employés et des futurs patients.

Déjà, Québec s'attendait à prendre livraison le printemps dernier, il y a six mois, date qui a été reportée au 6 novembre. Le promoteur écope de ces retards, puisque le Québec retient ses paiements de loyer tant que cette phase du CHUM ne sera pas terminée. Ces paiements s'élèvent à quelque 70 millions.

De plus, lors de la signature du contrat, le gouvernement a accepté de verser 45 % des coûts du projet au fur et à mesure de l'avancement des travaux. Qu'advient-il de ces avances, compte tenu des hypothèques légales ?

Bref, le diable est aux vaches et le gouvernement ne peut pas s'en laver les mains, malgré la formule PPP...