Le Parti libéral du Québec jubilait : « Le Québec : premier au Canada pour la création d'emplois dans le secteur privé depuis l'arrivée du gouvernement libéral », était-il écrit sur son compte Twitter.

L'affirmation suivait le dévoilement des chiffres mensuels de Statistique Canada sur l'emploi, vendredi dernier, qui ont été particulièrement bons pour le Québec, après quelques mois ordinaires. Selon Statistique Canada, il s'est créé 21 900 emplois en août au Québec, dont 20 000 emplois dans le secteur privé.

Devant cette affirmation, vous devinez mon interrogation : le Québec est-il devenu le terreau fertile de la création d'emplois du secteur privé au Canada ? La réponse à cette question est importante, car elle donnerait une crédibilité aux politiques du Parti libéral. On entend les militants : « Vous voyez, le secteur public a subi des compressions, mais le privé prend le relais et ce ne sont pas les contribuables qui paient la facture. »

Qu'en est-il au juste ? D'abord, il faut savoir que les chiffres publiés vendredi sont tirés de l'enquête sur la population active (EPA) de Statistique Canada. Les données sont corrigées des effets saisonniers (désaisonnalisées), mais elles demeurent tout de même volatiles. Les comparaisons mensuelles doivent donc être interprétées avec prudence. Pour avoir un meilleur portrait, il faut faire des comparaisons à plus long terme.

Voyons voir. Le Parti libéral a été élu le 7 avril 2014. Or, vérification faite, le Québec est effectivement la province où il s'est créé le plus d'emplois dans le secteur privé au Canada entre avril 2014 et août 2016.

Selon Statistique Canada, il s'est créé 88 900 emplois dans le secteur privé au Québec sur cette période, soit une croissance de 3,4 %. C'est bien davantage que les 49 600 de l'Ontario (+ 1,1 %) ou les 70 800 de la Colombie-Britannique (+ 4,9 %), qui connaît un boum. Pendant ce temps, en Alberta, le secteur privé perdait 38 000 emplois (- 2,5 %), en raison de la déconfiture du secteur pétrolier (1).

Dit autrement, le Québec a effectivement créé plus d'emplois dans le secteur privé entre avril 2014 et août 2016. C'est une bonne nouvelle.

Peut-on dire pour autant que le Québec est le champion de la création d'emplois dans le secteur privé ? Pas vraiment.

Étonnamment, Kathleen Wynne, première ministre de l'Ontario, pourrait elle aussi revendiquer le titre de championne. 

Pour ce faire, il lui suffirait de baser la comparaison sur sa propre date d'élection, en juin 2014, soit deux petits mois après l'entrée au pouvoir de Philippe Couillard.

En effet, en prenant de juin 2014 à août 2016 comme bases de comparaison, le portrait change : le secteur privé du Québec a créé 73 300 emplois, comparativement à 100 700 en Ontario ! Bref, le constat diffère passablement selon les dates choisies, en raison des variations mensuelles.

Maintenant, que s'est-il passé durant l'ère péquiste, soit de septembre 2012 à avril 2014 ? Durant le mandat de Pauline Marois, le secteur privé du Québec a perdu 19 300 emplois (1 %). Pendant la même période, le secteur privé a créé 166 000 emplois en Ontario et 16 500 emplois en Colombie-Britannique, ce qui fait mal paraître le PQ.

Durant cette période, faut-il dire, le Québec est presque tombé en récession, ce qui a plombé les données. Le PQ a été au pouvoir pendant les travaux de la commission Charbonneau, dont les révélations ont miné la confiance des entreprises et stigmatisé l'attribution de contrats publics. Le Québec se relevait également de la crise étudiante.

Quoi qu'il en soit, l'impact des gouvernements sur l'emploi est relativement faible comparativement à des événements économiques majeurs comme la crise financière de 2008 ou la crise pétrolière de 2014 (voir graphiques dans les onglets suivants). Les décisions des gouvernements ont des effets à long terme.

De plus, une analyse plus complète devrait tenir compte de la qualité des emplois créés et de l'impact de la croissance de la population sur l'emploi.

210 000 EMPLOIS EN 10 ANS

Cela dit, à long terme, le Québec est dans la moyenne canadienne pour la création d'emplois dans le secteur privé. Depuis 10 ans, il s'est créé 210 500 emplois, soit une croissance de 8,5 %, comparativement à 8,7 % pour la moyenne canadienne. L'Ontario a traîné la patte (+ 4,9 %), tandis que l'Ouest canadien a été un moteur (+ 14,2 % en Colombie-Britannique et + 16,3 % en Alberta).

Ailleurs dans le monde, il est difficile d'avoir des données spécifiques pour le secteur privé et les données les plus récentes datent de 2015. N'empêche, un survol des données globales de l'emploi (secteurs privé et public) permet de constater que le Québec et le Canada se classent très bien.

Au Canada, le nombre d'emplois est en croissance de 11,3 % sur 10 ans, comparativement à 10,3 % en Allemagne, 7,7 % au Royaume-Uni, 5,6 % en France, 5 % aux États-Unis et 0,3 % au Japon et en Italie. Pendant ce temps, la hausse au Québec est de 10,5 %.

Cela dit, il y a encore loin de la coupe aux lèvres avant d'atteindre les 250 000 emplois en cinq ans promis par le gouvernement Couillard durant la campagne électorale...

(1) Précisons que Statistique Canada sépare ses données sur le nombre total d'employés en trois groupes : secteur public, secteur privé et travailleurs autonomes.