Ce sera une véritable révolution. Une transformation du cadre de négociations qui a cours dans le monde municipal depuis 50 ans. Mais attention, le changement devra être implanté avec beaucoup de doigté pour être durable. Voici comment.

La semaine dernière, le ministre des Affaires municipales, Pierre Moreau, s'est engagé à donner aux villes la possibilité de décréter les conditions de travail de leurs employés. La rémunération des employés municipaux, on le sait, est à des années-lumière de celle offerte ailleurs. Pour des emplois comparables, l'écart avec les fonctionnaires du gouvernement du Québec est de 38%.

Pour changer le rapport de force vis-à-vis des syndicats, les maires réclamaient des outils. Entre autres, le maire de Québec, Régis Labeaume, demandait qu'on accorde aux municipalités le droit de décréter un lock-out, comme au privé, ce que le gouvernement a toujours refusé pour diverses raisons.

Pierre Moreau a toutefois trouvé un nouveau mécanisme pour satisfaire les villes: le droit de décréter les conditions de travail de leurs employés. L'ouverture légale est mince, mais les maires l'ont trouvée suffisamment intéressante et plausible pour qu'ils acceptent, en échange, de rendre permanentes des compressions nettes de 250 millions par an venant de Québec.

Saskatchewan

Essentiellement, le gouvernement du Québec veut s'en remettre à trois récents jugements de la Cour suprême pour encadrer son projet de loi, en particulier à la décision concernant la Saskatchewan Federation of Labour, rendue en janvier dernier.

Dans cette affaire, la Cour suprême a donné raison au syndicat, jugeant même que la grève est un «droit constitutionnel», une première dans l'histoire canadienne des relations de travail. Toutefois, la Cour a établi deux critères qui pourraient aider des employeurs comme les municipalités dans certaines circonstances.

En gros, le syndicat des travailleurs de la province de Saskatchewan contestait la loi encadrant le maintien des services essentiels en cas de grève. Entre autres, la loi donnait au gouvernement le pouvoir de désigner certains employés pour offrir les services essentiels à la population, les empêchant par le fait même de participer à une grève.

Or, une majorité de juges a statué qu'une telle imposition, unilatérale, était inconstitutionnelle, notamment parce qu'elle empêche les salariés désignés de se livrer à tout arrêt de travail dans le cadre d'un processus normal de négociation.1

Pour les juges, deux critères sont essentiels pour qu'une telle imposition soit conforme au droit à la liberté d'association de la Charte des droits. D'une part, les employés doivent avoir la «liberté de choix» et non être soumis à une décision unilatérale. D'autre part, ils doivent avoir l'«indépendance voulue» vis-à-vis de la direction pour prendre leur décision.

Sur la base de ces deux critères, le ministre Pierre Moreau et ses conseillers croient pouvoir élaborer une loi qui permettrait ultimement aux municipalités de décréter les conditions de travail.

Pour ce faire, l'employeur municipal visé devrait d'abord avoir négocié de bonne foi avec ses employés syndiqués. En cas de différend, un médiateur indépendant - ou l'équivalent - devrait être nommé pour tenter de dénouer l'impasse. La Cour suprême parle d'un «mécanisme véritable de règlement des différends».

Au terme de ce processus, le syndicat et ses employés auraient la liberté d'accepter ou non les propositions raisonnables du médiateur, qui respecterait le critère d'indépendance stipulé dans le jugement de la Cour.

Un décret de la Ville fixant les conditions de travail surviendrait seulement au terme de ce processus. Les élus pourraient alors imposer un tel décret à la suite d'un vote s'ils obtenaient une forte majorité au conseil municipal, par exemple.

En somme, l'imposition des conditions de travail ne serait pas automatique. Une ville devrait plutôt passer par un processus assez fastidieux pour en arriver là. Une fois le mécanisme bien en place, toutefois, les municipalités n'auraient probablement pas à se rendre aussi loin à chaque négociation. Ce pouvoir aurait plutôt pour effet de réajuster les rapports de force, ce qui pourrait permettre de mettre un frein aux grands écarts de rémunération entre les employés municipaux et les autres travailleurs.

Évidemment, les syndicats contesteront toute loi du gouvernement du Québec qui accorderait de tels pouvoirs aux municipalités. Et il est possible qu'ils puissent la faire juger inconstitutionnelle. Il reste que cette mince ouverture donne à Pierre Moreau la possibilité de révolutionner les négociations dans le monde municipal.

1 Selon un résumé de Rhéaume Perreault, du cabinet d'avocats Fasken Martineau DuMoulin.

Une erreur dans ma chronique «plate»

Je dois corriger une regrettable erreur dans ma chronique «plate» sur l'éducation parue vendredi. L'économètre Benoit Perron, de l'Université de Montréal, m'indique que des modifications comptables en 2010 au gouvernement du Québec ont pour effet de fausser les comparaisons des dépenses dans le temps. A l'aide d'un autre économiste (Bryan Campbell) et d'un comptable (Michel Magnan), il a travaillé à redresser les données, ce qui les rend comparables. Selon leurs travaux, la hausse des dépenses d'éducation n'est pas de 67% sur 10 ans, comme le laissait entendre ma chronique, mais de 50%. La hausse demeure supérieure à l'inflation (19%) et au PIB (38%), mais l'écart est moindre. Mes plus plates excuses.