On a souvent l'impression que Stephen Harper a réduit les impôts depuis son arrivée au pouvoir, il y a 10 ans, en métamorphosant le gouvernement fédéral. Or, une analyse des budgets de 2015 et 2005 donne un portrait inattendu à cet égard, notamment sur le rôle des taux d'intérêt.

Le travail d'analyse a été réalisé par l'économiste réputé, Jean-Pierre Aubry. Ancien cadre supérieur à la Banque du Canada, M. Aubry est associé au CIRANO et était jusqu'en 2009 le président du Comité des politiques publiques de l'Association des économistes québécois (ASDEQ). Il est connu pour ses positions plutôt modérées.

En janvier 2006, Stephen Harper et son équipe ont pris le pouvoir pour la première fois, aux mains du libéral Paul Martin. Le gouvernement conservateur, alors minoritaire, est devenu majoritaire à l'élection de mai 2011. Les prochaines élections auront lieu le 19 octobre.

Durant ses mandats, le gouvernement conservateur a notamment dû affronter la crise financière, qui a fait exploser le déficit budgétaire à 56 milliards de dollars en 2009. Pour revenir à l'équilibre, l'ex-ministre des Finances, Jim Flaherty, a lancé un important programme de compressions, mais sans vraiment toucher aux transferts aux provinces.

Cela dit, comment se compare le portrait des finances publiques fédérales aujourd'hui (budget de 2015-2016) avec celui de 2005, soit l'année précédant l'arrivée au pouvoir des conservateurs?

Voyons voir. D'abord, l'importance relative du fédéral dans l'économie a effectivement atteint un creux des 50 dernières années, constate Jean-Pierre Aubry. Les revenus du fédéral représentent aujourd'hui 14,5 % du produit intérieur brut (PIB), une baisse de 1,7 point de pourcentage par rapport aux 16,2 % de 2005. Ce recul représente l'équivalent de 34 milliards de dollars de moins en taxes et impôts.

Merci aux bas taux d'intérêt

Toutefois, Jean-Pierre Aubry constate qu'au bout du compte, ce recul des revenus tirés des impôts n'a pas été financé par une baisse nette des dépenses de programmes (transferts pour les enfants, dépenses des ministères, etc.). L'argent est plutôt venu de la diminution importante du service de la dette et de l'effacement du surplus budgétaire.

Cette année, les dépenses de programmes fédérales représentent 13,2 % du PIB, davantage que les 12,8 % du budget de 2005-2006. Par contre, les paiements d'intérêt sur la dette ont littéralement fondu, essentiellement grâce à la chute des taux d'intérêt. Ils représentent aujourd'hui 1,3 % du PIB, deux fois moins qu'en 2005 (2,5 % du PIB).

Ramenée en dollars, cette différence du service de la dette représente 24 milliards de dollars, soit plus des deux tiers des 34 milliards d'écart de revenus. Vous me suivez?

Autre élément important: en 2005, le surplus de Paul Martin équivalait à 1 % du PIB, mais il n'est plus que de 0,1 % du PIB cette année, ce qui se traduit par une différence de 17 milliards.

En somme, le gouvernement conservateur doit dire un gros merci à la baisse des taux d'intérêt et au surplus de Paul Martin, « deux facteurs qui étaient hors de son contrôle », fait remarquer Jean-Pierre Aubry.

Notons tout de même que parmi les charges de programmes (13,2 % du PIB aujourd'hui), ce sont les charges directes qui ont écopé (ministères, sociétés d'État, etc.). Ces charges représentent 5,8 % du PIB aujourd'hui - environ la moitié du total de 13,2 % -, comparativement à 6,0 % du PIB il y a 10 ans, soit une baisse de 0,2 point de pourcentage. Ce recul net, dont font partie les compressions à Radio-Canada, équivaut à environ 4,0 milliards de dollars.

Baisses d'impôts

Maintenant, quels contribuables ont le plus bénéficié des ponctions d'impôts moindres de 34 milliards durant cette période? Dans l'ordre, ce sont les consommateurs, les entreprises et les particuliers.

Selon Jean-Pierre Aubry, la TPS représente l'équivalent de 1,6 % du PIB cette année comparativement à 2,4 % en 2005, un écart qui correspond à 16 milliards aujourd'hui. De son côté, l'impôt fédéral des sociétés est passé de l'équivalent de 2,3 % du PIB en 2005 à 1,8 % cette année, ce qui équivaut à 10 milliards.

Enfin, l'impôt des particuliers a reculé, passant de l'équivalent de 7,6 % à 7,2 % du PIB sur la période (8 milliards), à laquelle il faut ajouter diverses autres variations de revenus dont l'effet global est neutre.

Encore des compressions à venir?

Et l'avenir? Qu'en sera-t-il si les conservateurs sont réélus? En tenant compte des projections de surplus budgétaire et de taux d'intérêt, Jean-Pierre Aubry estime qu'il faut s'attendre à une baisse importante des dépenses de programmes au cours des prochaines années.

En particulier, il estime que les dépenses directes (ministères, sociétés d'État, etc.) atteindraient 5,5 % du PIB dans cinq ans, comparativement à 5,8 % aujourd'hui. Ce recul représente l'équivalent de 6 milliards de moins par rapport à 2015 et 18 milliards comparé à 2005, avant l'arrivée au pouvoir des conservateurs.

« Une bonne partie de ces baisses implique moins de production de services. Le gouvernement Harper est cependant très peu loquace sur les implications des compressions qu'il a faites et celle qu'il planifie », écrit l'économiste.

De bonnes questions à poser en campagne électorale, quoi...

Pour en savoir plus: https://www.economistesquebecois.com/files/documents/0j/89/jpa-lectionsf-d-rales2015-10-juillet-15.pdf