Dans une organisation, il n'y a pas deux sièges sociaux, il y en a un seul. Je reste donc toujours perplexe quand il est question du siège social canadien ou québécois d'une multinationale étrangère.

Le siège social d'Apple est à Cupertino, en Californie, et celui de Nestlé est à Vevey, en Suisse. C'est là que se prennent les grandes décisions. C'est là que se trouvent leur PDG, leur chef des finances et leur patron des affaires juridiques.

Bien sûr, les multinationales décentralisent certaines divisions dans des pays tiers. Par exemple, la division Transport (les trains) de Bombardier a un centre décisionnel et un PDG à Berlin, en Allemagne. Il reste que les grandes orientations de Bombardier se décident à Montréal, essentiellement.

Ce qui m'amène à vous parler d'Alcan, ou plutôt de Rio Tinto Alcan. Lundi, on apprenait que l'entreprise supprimera de 110 à 170 postes à son centre décisionnel montréalais d'ici la fin de l'année. De plus, Rio Tinto, dont le siège social est à Londres, laissera tomber le nom Alcan sur son nouvel immeuble montréalais, où elle emménagera au début de 2016.

La nouvelle a fait réagir parce que Rio Tinto s'est engagée, quand elle a acquis Alcan en 2007, à maintenir le «siège social» de la division d'aluminium à Montréal et son niveau d'emplois. Se disant préoccupé, le ministre de l'Économie, Jacques Daoust, dit avoir demandé à des fonctionnaires de s'assurer que malgré les compressions, l'organisation respecte bien l'entente signée avec le gouvernement.

Les grandes lignes de cette entente se trouvent dans un communiqué publié par le gouvernement du Québec le 7 août 2007. Rio Tinto avait alors promis de respecter la «convention de continuité» conclue en décembre 2006 entre Alcan et le gouvernement.

En vertu de cette convention de continuité, essentiellement, Alcan s'était engagée à fournir des preuves au gouvernement quant au «maintien au Québec d'activités et de sièges sociaux opérationnels, financiers et stratégiques importants pour Alcan et ses actifs à des niveaux essentiellement similaires à ceux d'Alcan en ce moment».

Engagement de l'entreprise

L'entreprise s'était également engagée «au maintien de niveaux d'emplois au Québec [NDLR: usines et siège social] en conformité avec les engagements et plans d'Alcan alors en vigueur». De plus, il y est question du maintien des budgets culturels et caritatifs et du maintien des activités de recherche et développement.

Alcan avait accepté de signer cette convention parce qu'elle demandait au Québec le renouvellement de certains contrats d'énergie, entre autres.

En août 2007, quand Rio Tinto entre dans le portrait, le communiqué du gouvernement précise la notion d'activités de siège social, afin d'éviter que Montréal se retrouve avec une simple coquille. «Les fonctions qui y sont prévues comportent notamment la planification stratégique, les finances et la comptabilité, les affaires juridiques, la mise en marché et les ventes, la prospection de clientèle, les relations publiques et les ressources humaines.»

Bref, l'entente est plutôt contraignante pour Rio Tinto - et rassurante pour Montréal -, mais elle ne fixe pas de plancher d'emplois, absolu ou relatif.

La porte-parole de Rio Tinto Alcan, Claudine Gagnon, me dit que les activités de siège social seront maintenues, malgré les compressions. Elle rappelle le contexte d'affaires difficile qu'ont connu les métaux ces dernières années, notamment le secteur de l'aluminium, dont les prix ont longtemps été déprimés.

De fait, le chiffre d'affaires de Rio Tinto Alcan a fondu. En 2007, il était de 27,1 milliards US. Il n'est plus que de 12,1 milliards US aujourd'hui (ce qui exclut la division emballage, il est vrai). Quant aux employés, leur nombre est passé de quelque 8000 en 2007 à 6200 aujourd'hui, selon le répertoire Les Affaires-500.

Devant un tel dégonflement, il est difficile de croire que Rio Tinto n'a pas élagué le «siège social» montréalais. À première vue, la cure a été mineure. Le communiqué d'août 2007 chiffre à 860 le nombre d'employés au siège social d'Alcan. Aujourd'hui, l'entreprise parle de 800 postes.

Toutefois, il faut savoir que Rio Tinto y a aussi regroupé des activités de gestion de deux autres importantes divisions au Québec, soit Fer et Titane (anciennement QIT) et IOC. C'est d'ailleurs ce qui explique que le nouvel immeuble perdra la dénomination Alcan.

D'ici la fin de l'année, en somme, le siège social comptera environ 660 employés pour ces trois divisions, contre 860 pour la seule Alcan en 2007. Pour le maintien d'emplois, on repassera...

La convention de maintien du siège social a permis de centraliser au Québec la gestion des activités mondiales d'aluminium de Rio Tinto et d'y maintenir un centre décisionnel, ce qui est déjà beaucoup. Une telle entente aura toujours ses limites, néanmoins. Ultimement, c'est Londres qui décide.