Il s'agit d'une situation vraiment extraordinaire. Imaginez! Parce que Julie Snyder est tombée sous le charme de Pierre Karl Péladeau, son entreprise Productions J n'a pas droit aux subventions du gouvernement.

Bien que le constat soit simple, le dossier n'est pas aussi simpliste qu'il y paraît à première vue, cependant. Voyons voir de quoi il en retourne fiscalement, économiquement... et politiquement.

Depuis 2003, le gouvernement du Québec octroie des crédits d'impôt pour la production télé et cinématographique aux seuls producteurs qui sont indépendants des diffuseurs (TVA, Radio-Canada, etc.).

Pourquoi indépendant? Parce que le gouvernement veut créer un tissu industriel et encourager la diversité, ce qui n'est pas possible si les gros diffuseurs concurrencent les producteurs indépendants avec ces crédits du gouvernement.

Jusqu'au 28 février 2014, les critères pour déterminer l'indépendance entre un producteur et un diffuseur avaient trait aux liens de sang, de mariage ou d'union de fait, essentiellement. Pour avoir droit au crédit, un producteur ne pouvait pas avoir ce genre de liens avec la personne qui contrôle le diffuseur.

Cette définition n'est pas propre aux crédits d'impôt culturels. Elle vise une panoplie de situations fiscales, au provincial comme au fédéral. Pourquoi ce critère? Parce que le gouvernement veut s'assurer qu'un contribuable-diffuseur ne contourne pas la règle en demandant à sa conjointe, son frère, son fils de faire de la production dite «indépendante» et d'obtenir ainsi indûment l'aide gouvernementale.

Vers 2006, le gouvernement a légèrement modifié la règle pour permettre aux producteurs qui ne sont pas indépendants d'avoir tout de même droit aux crédits à la condition qu'ils vendent plus de 50% de leur production à des diffuseurs tiers. Dans un tel cas, le gouvernement accepte de verser des crédits pour la seule production réalisée pour les tiers.

Vers 2013, Julie Snyder cogne à la porte du gouvernement pour se plaindre. Ce n'est pas juste, dit-elle. PKP n'a rien à voir avec mon succès et je n'ai aucunement cherché à contourner les règles fiscales. En plus, comme je vends moins de 50% à d'autres diffuseurs, je n'ai droit à aucun crédit, zéro, même pour les émissions vendues à Télé-Québec.

Elle aurait pu ajouter que la possibilité qu'une productrice s'amourache d'un propriétaire de station de télé est rare. Certes, il y a bien eu la relation entre la comédienne Karine Vanasse et le propriétaire de la chaîne V, Maxime Rémillard. Toutefois, il est impossible de partager son lit avec le propriétaire de Radio-Canada, de CTV ou de RDS. Le premier est un diffuseur public, tandis que les deux autres stations appartiennent essentiellement à Bell Canada, une entreprise en Bourse sans actionnaire de contrôle.

Ainsi, la femme de George Cope, président de Bell, pourrait avoir une maison de production et obtenir des crédits d'impôt même si elle diffuse tout son contenu à CTV et RDS.

Au budget du 28 février 2014, fort de ces arguments, le ministre péquiste Nicolas Marceau accepte de changer les règles pour accommoder Julie Snyder. Désormais, le lien conjugal ne sera pas l'ultime test; il faut en plus que le producteur et le diffuseur soient associés, l'un détenant au moins 25% de l'autre.

Comme PKP ou TVA ne sont pas actionnaires de Productions J, l'entreprise devient automatiquement admissible aux crédits d'impôt. Or voilà: le 9 mars, neuf jours après l'entrée en vigueur de cette décision, PKP devient candidat péquiste aux élections.

Cette affaire n'aurait pas fait tant de bruit si les libéraux n'avaient pas pris le pouvoir, en avril 2014. Pour éliminer le déficit, le gouvernement Couillard dégonfle les crédits d'impôt de 20% dans son budget de juin 2014, constatant que les coûts de la mesure sont passés de 94 millions en 2008 à 125 millions en 2014.

Dans son deuxième budget, en mars 2015, Carlos Leitao redresse le crédit pour satisfaire l'industrie, mais il ramène le critère de lien conjugal, ce qui coupe les vivres à une seule entreprise: Productions J.

Julie Snyder est furieuse. Elle affirme que cette restriction met son entreprise en péril, que plusieurs de ses années sans crédit entre 2008 et 2014 avaient d'ailleurs été déficitaires.

De fait, le crédit est généreux. Aujourd'hui, il paie 32% des salaires d'une production. Par exemple, une production de 100 000$ avec des salaires de 50 000$ a droit à 16 000$ du gouvernement du Québec grâce aux crédits.

Le ministre des Finances Carlos Leitao a-t-il pris une décision politique? Ou a-t-il cherché à économiser des millions dans le contexte où l'on compresse la santé, l'éducation et l'aide sociale?

Chose certaine, il est rare qu'une décision touche une seule entreprise, dont la patronne est la conjointe du futur chef de l'opposition.

Maintenant, une question délicate: s'il prend le pouvoir, le parti de PKP ramènera-t-il le critère accepté par Nicolas Marceau? Le PQ redonnera-t-il des subventions à Productions J.? Une fois de plus, la question démontre l'importance d'avoir une séparation claire entre la politique et les affaires.