La nouvelle est connue des experts depuis février, mais elle est passée complètement inaperçue. Elle est pourtant d'un grand intérêt public, puisqu'elle touche les impôts des 1% les plus riches au Canada, notamment les avocats.

La nouvelle? Le gouvernement fédéral a fermé la porte à une échappatoire fiscale qui permettait aux avocats et autres professionnels d'économiser environ 55 millions de dollars d'impôts par année. Grâce à l'échappatoire, les partenaires des cabinets de professionnels, comme les firmes d'avocats, pouvaient chacun transférer des dizaines de milliers de dollars de revenus à leurs enfants mineurs et ainsi réduire significativement leur facture annuelle d'impôt. La manoeuvre utilisait des fiducies.

Le budget fédéral du 11 février en faisait état, mais c'est le 29 août que le nouveau ministre des Finances, Joe Oliver, a présenté les modifications à apporter à la Loi de l'impôt. Il invitait alors les parties intéressées à faire des commentaires avant le 28 septembre. Le projet de loi fermant la porte à l'échappatoire sera donc adopté prochainement.

Les professionnels en profitaient-ils vraiment? «C'est évident que cette planification était assez répandue chez les sociétés de personnes et les entreprises non incorporées», dit le fiscaliste Jean-François Thuot, de la firme Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT).

Dans le dernier budget, d'ailleurs, le gouvernement fédéral a estimé qu'il récupérera 35 millions par année en bouchant l'échappatoire. En ajoutant les provinces, on peut calculer que cette planification permettait aux contribuables visés d'économiser environ 55 millions par année d'impôt. Les modifications législatives deviendront applicables dès l'année fiscale 2014 et pour les années suivantes.

Selon mes informations, certains avocats associés de la défunte firme Heenan Blaikie, entre autres, auraient structuré leurs partenariats pour profiter de cet avantage.

Ce que j'en pense? Deux choses. D'abord, je n'irai pas pleurer pour les professionnels qui devront casquer. En cette ère de compressions, tous doivent être soumis aux mêmes règles et payer leur juste part d'impôt. Deuzio, le geste des autorités démontre qu'elles sont sérieuses dans leur volonté de récupérer leur dû, ce que les détracteurs du système devraient bien prendre en note.

La manoeuvre était-elle illégale? Ce n'est pas évident. Certains ont profité de la complexité de la Loi de l'impôt, d'autres ont jugé que c'était trop risqué. Selon M. Thuot, l'Agence du revenu du Canada était bien au courant de cette planification fiscale. Ses représentants en parlaient lors de conférences depuis trois ans.

«Selon eux, la Loi ne permettait pas ces économies d'impôt, mais le ministre des Finances a tout de même décidé de modifier la loi pour bien fermer la porte. Il n'est pas clair, cependant, si l'Agence tentera de collecter les économies d'impôt des années passées», dit-il.

Si l'Agence passait à l'acte, des contribuables pourraient contester son interprétation de la Loi, ce qui mènerait à des procédures devant les tribunaux pendant plusieurs années.

Comment fonctionnait la planification fiscale? Elle pouvait prendre diverses formes, mais essentiellement, les associés d'une firme de professionnels qui y avaient recours utilisaient une fiducie pour se faire payer une partie de leurs honoraires.

Prenons le cas de la firme d'avocats ABC, qui devait partager des revenus annuels de 1,5 million entre ses trois associés, par exemple, soit 500 000$ chacun. L'un d'eux demandait que la société lui verse 420 000$ directement et 80 000$ dans une fiducie.

Selon certaines interprétations de la Loi de l'impôt, il appert que l'associé pouvait ensuite transférer les 80 000$ de la fiducie entre les mains de ses trois enfants mineurs et de sa conjointe (4 X 20 000$), par exemple, et faire imposer la somme entre leurs mains plutôt qu'entre les siennes.

Pour les enfants mineurs et une conjointe sans revenu, le taux d'imposition réel de ces quatre tranches de 20 000$ est de 10,4% au Québec. En comparaison, ces 80 000$ auraient été imposés au taux maximum de 50% entre les mains de l'avocat. Le gain est de presque 40% sur les 80 000$, soit presque 32 000$.

Avec la nouvelle loi, il ne sera plus possible que les transferts de fiducie vers des mineurs donnent lieu à de quelconques économies d'impôt.

Ce fractionnement de revenus par l'entremise d'une fiducie n'est pas accessible au commun des mortels, puisque la structure à mettre en place pour ce faire peut coûter environ 10 000$, selon sa complexité.

Quoi d'autre? Certains professionnels y avaient recours, mais également les propriétaires d'immeubles. Dans leur cas, ils transféraient certains de leurs immeubles dans une fiducie et les revenus des immeubles étaient versés aux enfants mineurs, à taux d'impôt moindre. Par contre, les entreprises incorporées ne peuvent plus profiter de telles économies d'impôt par une fiducie depuis le milieu des années 90.