Tous ceux qui ont des enfants le constatent: les jeux devant l'écran occupent une place énorme à la maison. Et tout indique qu'une partie de ces jeunes migreront éventuellement vers les casinos en ligne, gageant avec leurs cartes de crédit.

Dans ce contexte, Loto-Québec et le gouvernement ont tout un défi devant eux. Ces nouveaux clients auront tendance à délaisser les casinos traditionnels et les machines à sous des bars pour dépenser leur argent devant leurs écrans. Comment récupérer ce marché en croissance, dont l'essentiel est fait dans l'illégalité actuellement? Et comment atteindre cet objectif sans augmenter le nombre de joueurs compulsifs ou empirer leurs problèmes?

Cet enjeu crucial a été débattu devant la Commission sur les finances publiques, cette semaine, dans le cadre de l'étude des crédits budgétaires. Hier matin, mon collègue André Dubuc rapportait que le ministre des Finances, Carlos Leitao, envisageait de permettre à Loto-Québec de faire des partenariats avec des firmes privées comme Amaya. Cette surprenante firme québécoise vient d'offrir 4,9 milliards pour acheter la société propriétaire des populaires sites PokerStars et Full Tilt Pokers (85 millions de joueurs dans le monde).

L'enjeu est colossal. Les profits de Loto-Québec sont en baisse constante, dans une période où le gouvernement a intensément besoin de cet argent. Il y a cinq ans, la société d'État engrangeait 1,47 milliard de dollars de bénéfice net. Or, au dernier exercice, Loto-Québec a remis seulement 1,14 milliard au gouvernement, soit 330 millions de moins ou 22%.

Un des responsables est justement le jeu en ligne. Ce segment de marché n'occupe encore qu'une petite partie de l'ensemble, mais il croît à vitesse grand V. En 2009, les Québécois ont dépensé 50 millions dans les jeux en ligne. Or, cette activité atteignait les 250 millions en 2012, et la croissance se poursuit.

À la commission, le président de Loto-Québec, Gérard Bibeau, a reconnu que le site de jeux en ligne de Loto-Québec (Espacejeux) n'accapare que 10% de ce marché. Le reste va dans les poches des quelque 2000 exploitants privés sur internet. Ces exploitants sont actuellement illégaux au Québec, puisque le jeu doit être administré par un organisme gouvernemental, selon le Code criminel.

Durant la commission, le député de la Coalition avenir Québec (CAQ), Christian Dubé, a posé des questions embarrassantes à Carlos Leitao et Gérard Bibeau.

Le dividende de Loto-Québec est-il à risque dans le contexte du jeu en ligne? Pourquoi la société d'État ne fait-elle pas davantage de publicités pour son site Espacejeux afin d'attirer les 90% de Québécois qui jouent ailleurs? Pourquoi investit-elle massivement dans les casinos, comme les 305 millions pour le Casino de Montréal, alors que les marges de profit y sont plus faibles? De fait, la marge de profit pour les casinos est de 20%, contre une moyenne de 36% pour les autres secteurs (loteries, loteries vidéo, jeux en ligne).

Les réponses hésitantes de MM. Bibeau et Leitao cachent peut-être les intentions véritables du gouvernement. En 2010, celui-ci a justement commandé un rapport sur le jeu en ligne, dont la version finale a été remise au ministre Leitao en mai. Hier, dans la foulée du reportage de mon collègue, la présidente du groupe de travail, Louise Nadeau, a tenu à publier un résumé du rapport.

Or, ce rapport recommande carrément d'ouvrir le jeu en ligne au secteur privé, comme ça se fait au Royaume-Uni, en France et au Danemark. Pour exploiter légalement un site en ligne, recommande le rapport Nadeau, les exploitants devraient obtenir une licence, octroyée par un organisme réglementaire, par exemple la Régie des alcools, des courses et des jeux.

Selon le rapport, une telle régie devrait s'assurer que les jeux en ligne sont intègres et conçus sur le hasard. De plus, elle devrait prévoir un mécanisme pour protéger les joueurs vulnérables ou les mineurs, tels des contrôles intermittents et aléatoires auprès des exploitants privés.

En passant, il appert que le Québec n'a pas de graves problèmes de jeu actuellement. C'est même au Québec que l'on joue le moins parmi les provinces canadiennes (moyenne annuelle de 577$ par habitant contre 746$ ailleurs). Le jeu en ligne y changera-t-il quelque chose?

Il va de soi que les exploitants en ligne sous licence priveraient Loto-Québec d'une partie de ses profits. Néanmoins, ils seraient tenus de verser une part de leurs bénéfices au gouvernement, en plus de payer pour les licences, selon Mme Nadeau. Au Royaume-Uni, par exemple, la Gambling Commission s'autofinance grâce aux revenus des licences.

Durant la commission, le ministre Leitao a fait remarquer qu'en Ontario, les casinos relèvent de l'État, mais sont administrés par le secteur privé. Ce serait un système semblable, en quelque sorte, avec les jeux en ligne.

Il reste une embûche, et elle est de taille. Le jeu est encadré par le Code criminel, qui est de compétence fédérale. Il faudrait donc que le gouvernement conservateur de Stephen Harper légalise le jeu en ligne pour l'ensemble du Canada. De belles discussions en vue pendant que des millions de dollars tirés du jeu continueront d'échapper au gouvernement.