Le bulletin économique du Conference Board publié en mai m'a fait tiquer. Encore une fois, le Québec s'y retrouve sous la moyenne, obtenant tout juste un C, au 18e rang de 26 territoires comparables.

Il n'y a aucun doute, le Québec doit se retrousser les manches, comme l'ont démontré plusieurs autres études sur le sujet. Le Conference Board parle de «sonnette d'alarme». Toutefois, mon agacement vient du choix des territoires avec qui est comparé le Québec et des raisons qui les placent en tête.

Parmi les sept premières économies comparées, qui obtiennent des A ou des A+, six sont d'importants producteurs de pétrole. Et parmi les cinq derniers, qui obtiennent des D, le pétrole est absent. L'Alberta et la Saskatchewan finissent premiers, la France et le Nouveau-Brunswick, derniers.

Autrement dit, le classement reflète la chance qu'ont eue ces territoires d'avoir du pétrole en abondance, plutôt que leur dynamisme et le génie de leurs politiques économiques. Quel est leur mérite?

Le Conference Board du Canada est un organisme indépendant et fort respecté. Son classement qui compare les 10 provinces et 16 pays semblables au Canada a donc fait la manchette.

Pour en avoir le coeur net, et dans le contexte du débat sur les projets de pipelines, j'ai voulu mesurer précisément l'impact du pétrole sur ces territoires et sur la richesse de leurs habitants. Cette curiosité m'a demandé un imposant travail de recherche et de nombreuses discussions avec des économistes, mais les résultats sont fort intéressants.

30 fois plus en Alberta



D'abord, parmi les 26 économies comparées, les Albertains sont de très loin ceux qui profitent le plus du pétrole. La province produit, chaque jour, l'équivalent de 638 barils par 1000 habitants, ce qui est plus de 30 fois supérieur aux niveaux d'autres grands producteurs comme les États-Unis ou le Royaume-Uni (voir tableau).

L'Alberta produit même deux fois plus de pétrole par habitant que la Norvège, un pays qui n'a plus de dette depuis belle lurette grâce au pétrole extrait de la mer du Nord.

En mettant en parallèle ces volumes de pétrole avec la richesse par habitant, il se dégage un lien très fort, ce qu'on appelle en statistique le coefficient de corrélation. Pour 2012, ce coefficient est de 72% pour les 26 territoires et de 85% pour les 10 provinces. À 100%, la corrélation serait parfaite.

Autrement dit, le pétrole explique grandement le niveau de richesse (ou de pauvreté) de ces économies, mais aussi la croissance annuelle de l'emploi et du PIB, ai-je pu constater.

De combien le pétrole de chaque territoire enrichit-il ses habitants? Deux facteurs ont été pris en compte: les revenus annuels tirés des puits de pétrole existants et la création de richesse qui découle des investissements pétroliers (pour la production future).

Selon Statistique Canada, chaque dollar de pétrole vendu ajoute environ 66 cents au PIB. De plus, chaque dollar d'investissement dans le secteur pétrolier ajouterait environ 25 cents au PIB, selon nos estimations prudentes basées sur des données de l'organisme. Ces multiplicateurs excluent les retombées indirectes.

Ainsi, en 2012, le PIB par habitant de l'Alberta, de 57 200$ (1), a été bonifié de près de 12 000$ grâce à la vente de pétrole. En ajoutant l'impact des quelque 50 milliards de dollars d'investissement pétrolier pour la seule année 2012, le PIB a été majoré d'environ 3200$, pour un total de 15 200$.

En clair, l'impact direct du pétrole y expliquerait près de 27% de la richesse de ses habitants. En Saskatchewan et à Terre-Neuve, l'impact est aussi très important (27 et 25%), à tel point que sans le pétrole, ces deux territoires passeraient des 2e et 3e rangs du classement du Conference Board aux 23e et 25e rangs, derrière la France.

Ces chiffres sont conservateurs et seraient bien plus élevés s'ils incluaient les retombées indirectes. Justement, une récente étude du Fonds monétaire international (FMI) estime qu'en incluant ses effets indirects, chaque dollar d'investissement pétrolier ajouterait 82 cents au PIB albertain, plutôt que les 25 cents de nos estimations.

Autrement dit, les résultats de l'étude suggèrent que sans le pétrole et ses investissements, le PIB par habitant de l'Alberta serait dégonflé d'un total de 22 400$ plutôt que 15 200$. Cet impact ramènerait le PIB par habitant de l'Alberta à 34 800$, entre ceux du Québec et de l'Ontario.

Nos estimations sont des ordres de grandeur, bien sûr. Les chiffres pourraient varier un peu, en plus ou en moins. Elles permettent toutefois de conclure qu'il est téméraire de juger les politiques de diverses économies et de faire des comparaisons sans tenir compte de l'énorme influence du pétrole.

En excluant l'effet du pétrole, le Québec passe du septième au cinquième rang canadien, et le retard de son PIB par habitant (31 540$US) par rapport à la moyenne des 26 territoires passe de 12% à 7%.

Ces résultats n'effacent pas nos problèmes, mais ils évitent de les surdramatiser.

Une prédiction, maintenant? Le Canada continuera d'être en tête des économies industrialisées au cours des prochaines années, avec les États-Unis. La raison? La production de pétrole y est croissante, tandis que celle du Royaume-Uni et de la Norvège, notamment, est en fort déclin, et qu'il y a peu de pétrole ailleurs en Europe.

Pour que cette prédiction se réalise, le gouvernement Harper déploie des efforts titanesques pour mousser les pipelines Northern Gateway, en Colombie-Britannique, Keystone XL, aux États-Unis, et le projet de port pétrolier à Gros-Cacouna, au Québec.

Consultez l'étude du Conference Board: www.conferenceboard.ca/hcp/provincial-fr/economy-fr.aspx

Les réserves s'épuisent chez les concurrents du Canada

Le Canada est le deuxième parmi les pays industrialisés comparables à profiter le plus du pétrole. L'exploitation et l'investissement pétroliers représentent environ 6% du produit intérieur brut (PIB) annuel canadien, contre 17,4% pour la Norvège, selon nos recherches.

L'Australie et le Danemark suivent, à 2,3%. Aux États-Unis, la production est très importante, mais la valeur annuelle par habitant avoisine les 700$ (1,5% du PIB), comparativement à 2300$US au Canada (15 200$US en Alberta).

Le portrait international pourrait toutefois changer. Les réserves s'épuisent chez les concurrents du Canada, sauf aux États-Unis. Depuis 10 ans, la production de pétrole par habitant a reculé de 64% au Royaume-Uni, de 55% au Danemark, de 54% en Norvège et de 45% en Australie. Pendant ce temps, elle a augmenté de 24% au Canada et de 21% aux États-Unis.

Les Américains plus riches

Même en excluant les effets directs du pétrole, les États-Unis conservent le premier rang pour la richesse relative globale, avec un PIB par habitant d'environ 44 600$US, contre 36 800$US en Australie, 34 900$US en Allemagne, 34 900$US en Suède et 31 300$ au Japon. Sans pétrole, le Canada serait à 34 900$US.

Parmi les pays qui ne comptent pas ou presque pas de pétrole, l'Autriche et les Pays-Bas se démarquent, puisque leur PIB par habitant (environ 36 400$) rejoint celui des groupes de tête, si l'on exclut le pétrole. La France et l'Allemagne ne profitent pas de la manne pétrolière.

Le pétrole explique plus du quart de la richesse de l'Alberta

Au Canada, la richesse des provinces est fortement liée à l'exploitation ou non de pétrole. En Alberta, plus important producteur pétrolier, l'ensemble des biens et services produits chaque année équivaut à 57 200$US par habitant.

Cette statistique, qu'on appelle le produit intérieur brut (PIB) par habitant, est deux fois moindre dans des provinces non pétrolières comme l'Île-du-Prince-Édouard ou le Nouveau-Brunswick. Lorsqu'on retranche l'effet direct du pétrole, le PIB par habitant de l'Alberta, de la Saskatchewan et de Terre-Neuve perd entre 25 et 27% de sa valeur, un sommet parmi les principales nations industrialisées. Sans le pétrole, ces deux dernières provinces tomberaient au rang des plus pauvres au Canada.

Par ailleurs, le Québec se retrouverait au cinquième rang canadien si l'on excluait l'effet direct du pétrole. Son PIB par habitant, exprimé en dollars américains constants de 2005, est de quelque 31 500$US. Il devance celui de la France et du Japon, mais se retrouve derrière celui du Royaume-Uni, de l'Ontario, des États-Unis et de l'Alberta.