Deux écoles de pensée s'affrontent au Québec sur l'évaluation de notre niveau de vie. Le premier groupe estime que les Québécois sont nettement plus pauvres que leurs voisins du Canada anglais, tandis que le second groupe minimise les écarts.

Les deux écoles s'accordent pour dire que les revenus des Québécois sont moindres. Toutefois, le deuxième groupe, dont fait partie l'économiste Pierre Fortin, estime que ces revenus moindres sont compensés par un coût de la vie plus bas. Aujourd'hui, ces coûts plus abordables ramèneraient l'écart de niveau de vie Québec-Ontario de 12% à environ 3%. De même, l'écart Québec-États-Unis passerait alors de 30% à environ 20%.

À l'inverse, le premier groupe estime qu'on exagère l'impact de ce coût de la vie plus faible ou même qu'il s'agit carrément d'un argument fallacieux. Ce premier groupe, pourrait-on dire, est parrainé par le Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) de HEC Montréal, organisme dirigé par Robert Gagné.

En 2012, le CPP a publié une étude de l'économiste Martin Coiteux selon laquelle l'avantage du coût de la vie du Québec sur l'Ontario s'est amenuisé durant la décennie 2000, passant de 10% en 2000 à 6% en 2009. Martin Coiteux est aujourd'hui président du Conseil du trésor du gouvernement Couillard.

La semaine dernière, le chercheur Vincent Geloso a déposé une autre étude pour le compte du CPP. Cette fois, la recherche conclut qu'il n'en coûterait pas moins cher de vivre au Québec, au contraire. Vincent Geloso est chargé de cours à HEC Montréal et étudiant au doctorat en histoire économique à la London School of Economics.

Pour étayer son hypothèse, le chercheur s'attarde à deux aspects. D'abord, si les prix au Québec semblent plus bas, soutient M. Geloso, c'est que les produits consommés sont en fait de moins bonne qualité. Et ils sont de moins bonne qualité parce la pauvreté des Québécois les oblige à faire ces choix, dit-il.

Ensuite, les prix sont plus bas parce que certains produits et services importants sont subventionnés par le gouvernement, comme les garderies et l'électricité. Ces subventions ont toutefois pour effet de hausser le fardeau fiscal.

L'étude du CPP remet d'abord en question les indices de prix provinciaux de Statistique Canada. «Pour qu'une comparaison interprovinciale du coût des biens soit objective et valide, les biens comparés devraient être de qualité identique. Or, les indices de prix de Statistique Canada reflètent difficilement cette variation de qualité [...], particulièrement sur le plan du logement», écrit M. Geloso.

L'écart du coût des logements Québec-Canada anglais est majeur dans l'argumentaire des adeptes de Fortin. Or, Vincent Geloso soutient que les logements sont moins luxueux au Québec. D'une part, la proportion de logements loués est ici plus grande, le taux de propriété étant de 60% au Québec, comparativement à 67% en Ontario et à 71% dans les Prairies.

«Même quand ils sont locataires, les Québécois habitent des résidences moins luxueuses que celles des autres Canadiens, écrit l'auteur. Le loyer des appartements à Montréal inclut plus rarement l'eau chaude, le chauffage et l'électricité qu'à Toronto.»

Autre indicateur: les maisons, condos et logements comptant plus de deux salles de bains sont moins nombreux au Québec (27%) qu'en Ontario (47%) ou en Alberta (58%).

Deuxième élément de l'étude: l'impact des subventions. Selon M. Geloso, les indices de prix officiels sont ici plus bas car le gouvernement subventionne certains biens et services. «Une partie importante de la différence apparente du coût de la vie est simplement assumée autrement, par une fiscalité plus lourde.»

Il prend l'électricité comme exemple, dont les prix sont maintenus artificiellement bas par le gouvernement. Le prix de l'électricité est 81% plus élevé en Ontario, 109% en Alberta et 125% en Nouvelle-Écosse. Ce prix «subventionné» au Québec par l'ensemble des contribuables a pour effet de diminuer le coût de la vie. Le constat est semblable pour les frais de garde ou les droits universitaires.

Selon l'étude du CPP, pour mesurer l'écart du coût de la vie, il faut comparer le temps de travail nécessaire pour acquérir certains biens et services. En utilisant le salaire horaire moyen, Vincent Geloso en vient à la conclusion que la vaste majorité des produits sont plus coûteux au Québec qu'en Ontario.

Par exemple, le travailleur québécois doit consacrer 104% du temps de l'ontarien pour acheter une poitrine de poulet, 108% pour acheter des chaussures de ville, 119% pour se procurer un iPod et 173% pour manger un Big Mac.

Le chercheur conclut qu'il est faux de dire que le coût de la vie est moindre au Québec pour des biens comparables. Au moment d'écrire ces lignes, Pierre Fortin n'avait pas pris connaissance des détails de l'étude, mais on peut s'attendre à une réplique.

Pour ma part, je suggérerais une autre méthode pour mesurer le niveau de vie. Ne serait-il pas préférable de comparer, entre différentes régions, les revenus et dépenses après impôts d'un couple avec les mêmes métiers (informaticien, secrétaire, plombier, enseignante, etc.)? Et vivant dans un logement semblable situé à distance équivalente du centre-ville. Cette distance a un impact très important sur le prix du terrain et le coût du transport, notamment.

En estimant ces revenus après impôts et dépenses, on obtiendrait, pour chaque ménage, le résidu disponible pour l'épargne. Le résidu de chaque famille comparable dans différentes régions du Canada nous indiquerait l'écart de niveau de vie.

L'étude est publiée sur le site du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal.