Robert Card n'y va pas par quatre chemins. Si SNC-Lavalin n'obtient pas son certificat de probité du gouvernement du Québec, dit-il, ce sera la catastrophe. Sans ce bout de papier, les affaires de la multinationale du génie seront bouleversées partout dans le monde, selon le PDG de l'organisation.

Le bout de papier, c'est le certificat autorisant les entreprises de construction et de génie-conseil à soumissionner sur des contrats publics au Québec. Le certificat est refusé à toute entreprise qui a été déclarée coupable de corruption, de collusion ou de fraude fiscale, entre autres, ou aux entreprises qui ne sont pas jugées suffisamment intègres par l'émetteur du permis, soit l'Autorité des marchés financiers (AMF). Dans un tel cas, l'accès au marché public québécois est refusé pendant cinq ans.

SNC-Lavalin a fait sa demande à l'AMF, le bras réglementaire du gouvernement, et attend toujours une réponse. Or, ce permis est crucial pour l'avenir de l'organisation, dit Robert Card. «Si le Québec nous faisait obstacle, ce serait catastrophique. [...] Ça nous forcerait à repenser complètement nos stratégies, instantanément», a expliqué le gestionnaire lors d'une rencontre à La Presse.

Selon lui, les organismes publics canadiens et étrangers n'oseront plus faire affaire avec SNC-Lavalin si elle n'est pas en mesure d'avoir la confiance des autorités dans son propre patelin, le Québec.

Il soutient qu'une grande entreprise latino-américaine attend l'issue des discussions au Québec et au Canada pour octroyer un contrat. Il affirme également que l'Algérie et d'autres pays observent attentivement ce qui se passe ici. «Tout le monde regarde le Québec. [...] Le Québec est un symbole, pas une île», dit-il.

Les propos de Robert Card n'ont pas été lancés comme une menace, mais ils mettent une forte pression sur le gouvernement du Québec. SNC-Lavalin, faut-il le rappeler, est l'une des plus grandes entreprises du Québec. Depuis Montréal, elle gère 33 900 employés et ses revenus annuels excèdent les 8 milliards de dollars. L'enjeu est énorme.

L'entreprise ou certains de ses anciens dirigeants ont été soupçonnés de corruption en Algérie, en Libye et même ici à Montréal, dans le dossier du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Il y a un an, l'ex-PDG, Pierre Duhaime, a été arrêté et accusé de fraude et de complot avec l'ex-vice-président Riad Ben Aïssa.

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Cela dit, les pressions de Robert Card semblent commencer à porter leurs fruits. La semaine dernière, le gouvernement a déposé le projet de loi 61 qui, en principe, vise à faciliter le recouvrement de sommes payées injustement par le gouvernement aux entreprises. Or, une partie du projet, passé inaperçu, vient aussi assouplir une autre loi, celle qui donne à l'AMF le mandat d'octroyer des certificats de probité.

Actuellement, dès qu'une entreprise est trouvée coupable de corruption, de collusion ou de fraude, entre autres, elle perd automatiquement son droit d'obtenir des contrats publics pendant cinq ans au Québec. Les infractions peuvent avoir été commises au Québec comme à l'étranger, et tout indique que SNC-Lavalin sera éventuellement reconnue coupable d'une quelconque infraction.

Or, le projet de loi 61 aura pour effet d'annuler cette perte automatique du certificat de probité. Si le projet est adopté, l'octroi du certificat sera plutôt à la discrétion de l'AMF ou, autrement dit, du gouvernement.

Par ailleurs, selon des sources bien placées, les décideurs au gouvernement sont très conscients de l'impact d'un refus de certificat à SNC. En retour, toutefois, on exige que l'entreprise prouve qu'elle n'a pas fait le ménage qu'en superficie, notamment en permettant l'envoi d'inspecteurs de l'AMF sur place pour vérifier.

Robert Card le confirme. «Tout le monde au Québec, au Canada veut que SNC-Lavalin soit forte, vibrante et compétitive, mais en même temps, ils veulent envoyer un message comme quoi ce genre d'activités est intolérable... [Les gens du gouvernement] ont un bon niveau de compréhension des enjeux. Ils ont un bon sens de l'équilibre entre les besoins. En tant que politiciens, ils comprennent les besoins et aspirations des électeurs du Québec et les besoins et aspirations d'entreprises solides. Je suis confiant.»

Le certificat est primordial pour Robert Card. «Rien n'est plus important pour l'entreprise. [...] Si le Québec est satisfait de ce qu'on fait, [voit] que les gens qui ont causé les problèmes sont partis, [constate] que nous avons un programme de conformité de classe mondiale et [voit] que nous sommes absolument dédiés envers les questions d'éthique, alors la reconnaissance de tout cela sera extrêmement positive», a expliqué le gestionnaire.

Bref, les possibilités d'un règlement se précisent. Reste à voir si ce gouvernement minoritaire hésitera à aller de l'avant, question de ne pas déplaire aux électeurs avec une décision qui pourrait être perçue comme trop permissive avant les élections.