De mémoire, c'est une première au Québec. Jamais un maire n'a-t-il promis de sabrer la rémunération de ses employés pour boucler son budget, comme le propose Régis Labeaume.

La Ville de Québec fait face à un déficit monstre de ses régimes de retraite, comme bien d'autres villes et entreprises privées, d'ailleurs. Celui-ci s'élève à 1,5 milliard de dollars, ce qui risque de se traduire par une majoration importante de l'impôt foncier.

Pour éviter un tel scénario, le maire de Québec veut réduire de 6% la rémunération de ses employés, essentiellement en faisant des coupes dans les avantages sociaux et en augmentant le nombre d'heures travaillées. Ce plan de match se traduirait par une diminution de personnel et une économie de 17 millions par année pour la Ville.

«Si vous votez pour moi, c'est ça qu'on fait [...] et si les gens de Québec fortement disent oui à ça, on part une petite révolution au Québec», prédit le maire.

Le maire n'a pas tort quand il parle de révolution. Depuis des décennies, les salaires des fonctionnaires municipaux augmentent, contre vents et marées. Qu'importe les crises, la rémunération est en hausse et les citoyens casquent.

Oh, il y a bien eu de petites concessions ici et là, mais dans l'ensemble, ça monte. Tant et si bien que la rémunération des employés municipaux est globalement de 33% supérieure à celle des autres employés au Québec.

Cette analyse de la rémunération ne vient pas d'un obscur organisme antisyndical, mais du très sérieux et très neutre Institut de la statistique du Québec (ISQ). L'organisme compare les conditions d'un même type d'emploi au public et au privé, avantages sociaux compris.

Par exemple, un technicien en administration reçoit 50,12$ l'heure au municipal, bien davantage que dans le secteur privé syndiqué (42,17$), qu'au fédéral (44,12$) ou qu'au provincial (37,41$). Autre exemple: un chauffeur de camions lourds touche 38,56$ l'heure au municipal, soit 32,5% de plus qu'ailleurs.

Ces données valent pour l'ensemble des villes de plus de 25 000 habitants; l'écart est encore plus important pour les grandes villes, comme Montréal.

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Je n'ai rien contre de bonnes conditions de travail, au contraire. Une organisation saine et efficace devrait pouvoir améliorer les conditions de ses employés. Et le syndicat a raison d'y voir.

Le problème, c'est que de nombreuses villes vivent au-dessus de leurs moyens depuis longtemps. Plusieurs d'entre elles surtaxent leurs citoyens, réduisent leurs services ou demandent l'aide du gouvernement du Québec.

En août, le maire de Montréal, Laurent Blanchard, a voulu geler encore une fois les budgets des arrondissements pour éviter un déficit, mais il a fait face à une fronde sans précédent des élus, incapables de faire davantage de coupes. L'option de rechange sera de hausser les impôts fonciers, pas de sabrer les salaires.

Pourtant, les exemples pleuvent d'organisations qui ont exigé des sacrifices à leurs employés pour survivre, qu'on pense à Bombardier, à Domtar, à Québecor et même au journal La Presse. Il s'agit de situations malheureuses, difficiles, néanmoins nécessaires.

Les gouvernements fédéral et provincial ont dû faire des coupes, eux aussi, déficit oblige. Au fédéral, on a aboli 19 200 postes. Au gouvernement du Québec, les nombreuses années de régime sec ont fait passer la rémunération des fonctionnaires sous celle du privé, ce qui pose d'ailleurs des problèmes d'attractivité de la main-d'oeuvre.

Dans les villes? Bof. On fait un peu de coupes, on évite la guerre contre les syndicats et on refile la facture aux citoyens. Pas pour rien qu'à Montréal, par exemple, le niveau de dépenses par habitant est 60% plus élevé qu'ailleurs.

L'automne dernier, la Ville de Montréal et ses cols-bleus-à-quatre-jours-par-semaine ont signé une entente prétendument "historique". Les cols bleus ont accepté de hausser la cotisation à leur régime de retraite de 6,4% à 9,1% de leur salaire sur quatre ans. En échange, ils ont obtenu des hausses salariales de 2% durant trois ans et de 2,5% durant les deux années suivantes, alors que l'inflation est de seulement 1,3%.

Le maire de Québec, Régis Labeaume, a clairement indiqué qu'il n'a pas l'intention de suivre ce modèle. Il tient la ligne dure et profite de la campagne électorale pour en aviser la population.

En réplique aux affirmations du maire, le syndicat des cols bleus de Québec a déposé une plainte pour négociation de mauvaise foi. Le syndicat soutient que le maire leurre la population en véhiculant des informations fausses, contraires aux ententes obtenues à ce jour à la table des négociations.

Ce sera à la Commission des relations de travail (CRT) de trancher. Et un peu aux citoyens tout de même, non?