Discussion de couloir entre trois employés administratifs de La Presse, jeudi. «Franchement, un péage sur le pont Champlain, ça n'a pas de bon sens. Aussi bien dire une autre taxe. Et ne comptez pas sur l'employeur pour nous rembourser.»

Pour toutes sortes de raisons, personne, en apparence, ne veut du péage sur le futur pont Champlain. Ni les citoyens ni les politiciens provinciaux ni les politiciens municipaux. Seul le fédéral y tient mordicus, essentiellement pour des raisons financières.

Cette opposition n'est guère surprenante. Demandez à n'importe quel sondeur: une nouvelle taxe, un nouvel impôt, un nouveau tarif ne suscite jamais l'adhésion du public. Jamais. Les politiciens l'ont bien compris et évitent de froisser un groupe précis d'électeurs.

Pourtant, le péage est le moyen le plus efficace pour régulariser la circulation, optimiser l'utilisation de l'automobile et aider l'environnement.

Le GIEC, ça vous dit quelque chose? Ce groupe d'experts prévoit que la terre fonce vers des catastrophes climatiques, d'ici 30 ans, si l'homme ne change pas son comportement, notamment son utilisation de l'automobile. Plus de 9000 études analysées par 800 scientifiques pendant 5 ans le confirment: l'homme est responsable du réchauffement croissant de la planète.

Et dans ce cas, les problèmes climatiques ne coûteront pas de 3 à 5 milliards de dollars, comme le pont Champlain, mais plusieurs milliards de dollars... par année. De fait, l'une des études les plus sérieuses sur le sujet, financée par le gouvernement fédéral, parle d'un coût annuel de 5 milliards au Canada dans les années 2020, au moment de la mise en service du nouveau pont, et de plus de 20 milliards par année à partir de 2050.

L'automobile est une merveille technologique qui permet de parcourir confortablement de grandes distances. Elle est à ce point fantastique qu'elle se multiplie sur les routes, leur nombre étant passé au Québec de 397 par 1000 habitants il y a 30 ans à 590 aujourd'hui, en hausse de 50%.

La voiture est cependant très nocive pour l'environnement, et il faut restreindre son utilisation selon les besoins.

Essentiellement, les opposants au péage électronique sur le pont Champlain avancent trois types d'arguments pour le dénoncer: l'engorgement des autres ponts, l'impact sur les moins nantis et sur les entreprises et, enfin, l'injustice envers certains banlieusards.

L'engorgement d'abord. Une étude «très préliminaire» de la firme Steer Davies Gleave (SDG) avance que 22% des conducteurs choisiraient un autre pont, s'il fallait payer 2,48$ pour traverser Champlain en pointe et 1,86$ hors pointe (SDG prend les tarifs du pont payant de l'autoroute 25 à Laval). Quelque 30 000 véhicules engorgeraient donc les autres ponts de la Rive-Sud.

Certains experts en doutent, moi aussi. Croyez-vous vraiment qu'autant d'automobilistes, après un détour, vont faire la queue pendant encore plus longtemps qu'aujourd'hui avant de traverser? Dans une tempête de neige? Tout ça pour 5,00$ par jour? Et que, selon l'étude, seulement 1500 automobilistes se tourneront alors vers le transport en commun?

Pour remédier au problème, certains suggèrent d'imposer un tarif sur les autres ponts aussi. C'est à voir.

Les pauvres et les entreprises, maintenant. Quoi de plus facile que d'offrir un dédommagement fiscal aux moins nantis qui seraient contraints de payer pour traverser le fleuve, sur Champlain ou ailleurs. Par exemple, ceux qui déclarent moins de 25 000$ de revenus par année pourraient se voir offrir un crédit d'impôt de 50%, dans certaines circonstances. La facture annuelle est de 500$, voici un remboursement de 250$.

Quant aux entreprises, les frais des camionneurs et des représentants pour le péage sont déjà déductibles des impôts. À tout événement, les entreprises gagneraient en temps avec l'allégement de la circulation.

Les banlieusards de la Rive-Sud, enfin. Oui, ils paieront davantage. Mais n'est-ce pas eux qui bénéficient le plus du pont, ayant accès rapidement au centre-ville de Montréal?

Un passage gratuit pour les banlieusards, rappelons-le, est en fait une facture répartie sur l'ensemble des contribuables. Or, on le sait, cette formule de «tous paient pour tout» est inefficace et entraîne du gaspillage. Elle ne responsabilise pas ceux qui utilisent le service.

Pour améliorer la circulation et l'environnement, le Parti québécois et d'autres politiciens proposent d'électrifier les transports, de construire de nouvelles stations de métro, d'ajouter des voies réservées, de multiplier les pistes cyclables. Tous ces projets sont louables, mais très coûteux. Il faut aussi résolument restreindre l'utilisation du principal responsable de ces problèmes: l'automobile.

Bien sûr que le fédéral devra payer l'essentiel du futur pont. Bien sûr que 7$ par passage, c'est trop élevé. La construction d'un nouveau pont est toutefois l'occasion idéale de changer notre approche du transport dans la région de Montréal. Il ne faut pas la manquer.