Contrairement aux garderies, les écoles privées ne seront pas soumises aux contraintes de la future Charte des valeurs québécoises. Les enseignantes musulmanes pourront y garder leur voile, les hommes juifs, leur kippa, et les professeurs catholiques, leur croix.

Les centres de la petite enfance (CPE) et les garderies privées subventionnées, de leur côté, devront s'y plier, comme l'ensemble des employés de l'État.

Vous le savez, je suis divisé sur cette question du port des signes religieux ostentatoires. Et je crains l'intolérance que provoque le débat. Mon cheval de bataille porte plutôt sur l'aide financière accordée par l'État aux religions: exemptions d'impôts aux bâtiments religieux, crédits d'impôt sur les dons aux organismes religieux, exemptions de douanes sur certains produits religieux, déductions d'impôts sur le logement des religieux, etc.

Il y en a pour plus de 100 millions de dollars par année pour le gouvernement du Québec et les municipalités. C'est beaucoup d'argent.

Pourquoi l'État devrait-il, par son aide financière, favoriser l'avancement de la religion et s'éloigner de la laïcité?

Dans ce contexte, j'ai cherché à avoir des renseignements sur l'aide apportée aux écoles privées primaires et secondaires religieuses. Au ministère de l'Éducation du Québec, on affirme qu'«on ne tient pas de statistiques concernant le statut confessionnel ou religieux d'un établissement d'enseignement privé. Les statistiques portent sur les écoles associées à une communauté culturelle».

Tout ce qu'on a pu nous dire, c'est que parmi les écoles subventionnées, il y a 16 écoles juives, 4 écoles musulmanes, 3 écoles arméniennes et 1 école grecque. Le portrait exclut les écoles catholiques, protestantes, évangéliques, adventistes ou brethren.

Le Ministère ne tient plus cette liste, puisque le statut confessionnel des écoles a été abrogé par une loi adoptée en 2000 et appliquée en 2005, essentiellement. Dans les faits, toutefois, bien des écoles privées subventionnées continuent d'avoir une vocation religieuse.

Le philosophe Michel Lincourt, porte-parole du Mouvement laïque québécois, s'est buté aux mêmes problèmes avec le ministère de l'Éducation. Il a donc fait sortir la liste de toutes les écoles privées et fait une enquête sur l'internet pour savoir lesquelles étaient encore animées par un engagement religieux.

Ses résultats sont intéressants. Sur les 172 écoles privées subventionnées qui offrent des services préscolaires, primaires et secondaires, 80 peuvent encore être qualifiées de religieuses, selon son enquête. Et elles reçoivent 106 millions du gouvernement par année, soit le quart des subventions totales versées par le gouvernement au privé.

Il convient que certaines des écoles de la liste sont très modérément religieuses, offrant par exemple des cours de pastorale volontaire après l'école. «Ces écoles ne posent aucun problème quant à l'endoctrinement religieux», nous dit M. Lincourt, titulaire d'un doctorat en philosophie.

Toutefois, les deux tiers des 80 écoles sont «agressivement» religieuses, estime-t-il. Et elles se trouvent dans tous les camps: catholiques, protestants, juifs ou musulmans. Certaines écoles juives orthodoxes, on le sait, reviennent fréquemment dans l'actualité depuis plusieurs années en raison de leur délinquance à se conformer au cursus scolaire du Ministère.

Sur son site internet, Michel Lincourt définit l'école religieuse comme une école inféodée à la religion qui oriente son discours pédagogique dans le sens de la doctrine religieuse concernée. «Elle organise des pastorales, des prêches ou des offices religieux. Elle élève des restrictions dans le recrutement et l'admission des élèves, dans l'embauche des enseignants et du personnel d'encadrement. Elle censure les textes scolaires et les enseignements contraires à sa doctrine. En somme, elle pratique l'endoctrinement des enfants au profit de sa religion.»

Par exemple, dans un jugement au sujet de l'école catholique Loyola High School, il est écrit qu'à cette école, «Dieu doit y occuper la place centrale, la fin suprême [...]. Foi et raison travaillant nécessairement ensemble dans la recherche du vrai et du juste.» L'école conteste actuellement les exigences du ministère de l'Éducation en Cour suprême.

Autre exemple: une école musulmane de Pierrefonds organise des journées de célébration du hijab, de lecture du Coran et de chants religieux, a constaté M. Lincourt.

Le philosophe rappelle l'importance de séparer la religion du cursus scolaire, parce que la connaissance et la religion sont largement incompatibles, la première impliquant le doute et la seconde s'appuyant sur des certitudes non fondées. «Au Québec, les enfants devraient tous bénéficier d'un même enseignement, basé sur les valeurs citoyennes, sur l'égalité des hommes et des femmes et sur des fondements scientifiques et non arbitraires.»

Je ne dis pas qu'il faut étendre l'interdiction des signes religieux aux écoles privées subventionnées. Je ne veux pas faire de chasse aux sorcières. Mais je m'interroge. D'un côté, le gouvernement veut imposer la Charte aux CPE et aux garderies privées subventionnées, qu'il finance à 75%. De l'autre, il laisse le champ pratiquement libre à bien des écoles privées religieuses, qu'il finance à 60%.

>>> La liste des écoles religieuses subventionnées, selon Michel Lincourt.