Vous en connaissez parmi vos proches. Des gens brillants ou doués, mais dont l'emploi ne correspond pas du tout au domaine de formation. Des gens tantôt frustrés, tantôt aigris, tantôt résignés.

Ce phénomène s'appelle la surqualification et il est plus répandu qu'on pense. Lundi, une étude réalisée par les économistes Brahim Boudarbat et Claude Montmarquette est venue quantifier le phénomène. Les deux chercheurs du CIRANO se sont concentrés sur la région de Montréal.

Selon leurs conclusions, 31,5% des travailleurs de la région de Montréal sont surqualifiés pour le poste qu'ils occupent. Autrement dit, presque un employé sur trois a reçu une formation qui lui est peu ou pas utile, que ce soit au cégep, à l'université, au secondaire ou dans une école de métier. Cette proportion est légèrement plus élevée qu'à Toronto (29,2%) ou Vancouver (29,3%).

Leurs résultats renforcent les analyses du gouvernement fédéral au dernier budget, selon qui il faut mieux arrimer la formation au marché du travail dans le contexte appréhendé de pénurie de main-d'oeuvre.

Pour obtenir leurs résultats, les deux chercheurs ont utilisé des données de Statistique Canada. À défaut d'avoir les données détaillées du recensement de 2011 - pas encore disponibles -, ils ont dû se contenter de celui de 2006. Toutefois, leurs résultats globaux sont corroborés par l'enquête sur la population active de 2011. Leur analyse fait 118 pages.

Comme on s'y attendait, certaines formations ont de pires bilans que d'autres. La moitié des finissants en histoire, par exemple, ont étudié bien davantage que ne le requiert leur emploi. Même constat pour les diplômés en sciences sociales ou en philosophie, dont le taux de surqualification en emploi est de 53% et 41%.

Ces diplômés se retrouvent parfois caissiers (caissières) dans un supermarché ou serveurs (serveuses) dans un restaurant. De fait, le taux de caissiers surqualifiés serait de 100%, selon l'étude, tandis que celui des serveurs est de 52%.

Toujours selon l'étude, 13% des diplômés universitaires (baccalauréat, maîtrise, doctorat) occupent un emploi qui ne requiert qu'un diplôme du secondaire. Ouch!

Plusieurs études le confirment: la correspondance formation-emploi augmente la satisfaction et le bien-être des travailleurs et le niveau de leurs salaires. Pour les entreprises, elle diminue le taux de roulement et les besoins de formation et augmente la productivité.

La conclusion la plus frappante des chercheurs a trait à la surqualification des diplômés des écoles de métier. Globalement, 47% de ces diplômés finissent par occuper un emploi pour lequel ils sont surqualifiés. «Plusieurs sortent de ces écoles, mais n'ont pas d'emplois dans leur domaine. Les écoles admettent peut-être davantage les élèves en fonction des places et des profs disponibles que de la demande réelle du marché», croit Claude Montmarquette, dont l'étude n'a toutefois pas validé ce constat sur le terrain.

L'étude utilise seulement les données relatives aux diplômés des écoles du Québec et du reste du Canada. Autrement dit, elle ne tient pas compte des immigrants de première génération formés à l'étranger, dont les diplômes ne sont souvent pas reconnus.

Les données de l'étude font par ailleurs ressortir que les femmes sont davantage surqualifiées pour les postes qu'elles occupent (33,4% contre 29,5% pour les hommes). Les minorités visibles sont aussi davantage surqualifiées en emploi (46% pour les Noirs et les Latino-Américains, par exemple). Ces données illustrent la discrimination.

En somme, la surqualification est un phénomène trop répandu. Le sujet est préoccupant quand on sait qu'au Canada, les dépenses en éducation représentent 6,5% du produit intérieur brut (PIB), bien davantage que la moyenne des pays de l'OCDE (5,7%).

L'individu et l'État ont chacun leur part de responsabilité. Pour les jeunes, par exemple, il est difficile de choisir une carrière. Le mieux est de se lancer dans un secteur passionnant qui offre des emplois sûrs et payants, mais l'adéquation est rarement idéale. Certes, dans les secteurs restreints, il y aura toujours de la place pour les meilleurs; mais pour la majorité, la passion se traduira malheureusement en frustrations.

Par ailleurs, ce n'est pas à l'État de dicter les choix des individus. En cette matière, l'État n'est pas un bon prédicateur des emplois d'avenir. Toutefois, les politiques gouvernementales ne doivent pas encourager la surqualification. À cet égard, financer les universités en fonction du nombre d'étudiants, par exemple, les incite probablement à attirer trop d'étudiants dans un trop grand nombre de secteurs peu en demande.

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Taux de surqualification au travail (1)

(Proportion de gens dont la formation excède les besoins pour le poste occupé)

SELON L'EMPLOI

Enseignants 0,0%

Secrétaires 6,8%

Personnel technique, santé 11,4%

Vendeurs 54,8%

Caissiers 100,0%

SELON L'INDUSTRIE

Construction 23,4%

Finance et assurance 27,4%

Commerce de détail 48,4%

Hébergement et restauration 52,3%

SELON LE DOMAINE D'ÉTUDES

Sciences physiques 27,1%

Math. et statistiques 29,9%

Philosophie et religion 40,8%

Histoire 49,0%

Sciences sociales 52,7%

Arts et sciences 58,5%

Moyenne 31,5%

1 Nous avons choisi certains domaines ou métiers représentatifs. La moyenne vaut pour l'ensemble des travailleurs diplômés de l'étude.

Source: CIRANO