Postes abolis, salaires gelés, coupes sévères, projets mis sur la glace. Bienvenue en Grèce? Non, nous sommes dans la riche province de l'Alberta, mesdames et messieurs.

Le budget présenté jeudi à Edmonton y a des allures de catastrophe. La province n'est pourtant pas en défaut de paiement auprès des banques internationales et n'a pas reçu d'avertissements des agences de crédit. Non, l'Alberta a fait ce qui était impensable il n'y a pas si longtemps: un déficit! Pire: elle renouera avec l'endettement.

Que se passe-t-il? Essentiellement, le gouvernement albertain a fortement accru ses dépenses ces dernières années pour répondre au flot de nouveaux arrivants. Or, les revenus tirés des ressources naturelles, essentiellement le pétrole, sont en chute libre. Ils diminueront de moitié au cours de l'année financière 2013-2014, qui débute le 1er avril, ce qui provoquera un manque à gagner de 6,2 milliards. Ce trou correspond à plus de 16% des dépenses.

Cette diminution s'explique par la baisse des prix du pétrole, mais surtout par le recul marqué du prix du pétrole sale albertain. En 2011, le prix moyen du pétrole tiré des sables bitumineux était d'environ 81$ le baril. Le prix est tombé à quelque 69$ cette année, et le gouvernement ne prévoit pas de hausse au cours de l'exercice 2013-2014. En comparaison, le pétrole conventionnel se vend environ 92,50$ le baril, soit 34% plus cher!

«La bulle bitumineuse continue d'avoir un impact sévère sur nos revenus», a déclaré le ministre des Finances albertain, Doug Horner.

C'est le cas de le dire. Tout pris en compte, l'Alberta engrangera un déficit d'exploitation de 1,4 milliard pour l'année qui se termine le 31 mars 2013. La province compte résorber ce trou d'ici deux ans, mais elle enregistra un déficit d'exploitation de 451 millions au cours de la prochaine année (2013-2014).

Pour combler le trou, pas question d'augmenter les impôts et les taxes, pourtant les plus basses au Canada. Le gouvernement abolit 480 postes, gèle les salaires des médecins, enseignants et autres fonctionnaires pendant trois ans, réduit le budget des universités de 147 millions. Mince consolation: les droits de scolarité annuels ne pourront augmenter plus que l'inflation.

En plus, les fonds prévus pour les maternelles à temps plein et l'amélioration environnementale des produits bitumineux ont été mis sur la glace. Et pas question d'avancer les 107 millions demandés pour le nouvel aréna des Oilers d'Edmonton. Ouf!

L'Alberta continue pourtant d'afficher une situation financière très enviable. Sa cote de crédit est de AAA, la meilleure qui soit, et le gouvernement peut se targuer d'avoir non seulement effacé sa dette grâce aux revenus pétroliers, mais aussi accumulé des fonds de réserve de... 21 milliards! Cette année, elle entamera cette réserve - très peu - et s'endettera pour construire des écoles.

Pas de doute, les cowboys albertains vivent sur une autre planète. Plusieurs économistes suggéraient à juste titre d'imposer une taxe de vente. Le gouvernement de la première ministre Alison Redford a envisagé cette solution plutôt que des coupes, mais le principal parti d'opposition (Wildrose Alliance Party, encore plus à droite), était fortement contre.

Le Wildrose Party était appuyé, faut-il dire, par l'opinion publique. En Alberta, 72% des citoyens sont contre l'imposition d'une taxe de vente provinciale, selon un récent sondage. L'Alberta n'a aucune taxe de vente provinciale depuis plusieurs années, et l'instauration d'une telle taxe devrait être autorisée par référendum, prévoit la loi.

Une taxe de vente de 1% aurait rapporté un milliard, selon une estimation de Valeurs mobilières Banque Laurentienne (VMBL). Une taxe de 3 à 4% aurait suffi pour régler les problèmes albertains, eux dont le taux d'imposition maximum sur le revenu est de 39%, comparativement à 50% au Québec. Bref, les Albertains sont allergiques aux impôts!

Il faut dire que les Albertains ont profité de la manne pétrolière ces dernières années. Pour chaque habitant, les dépenses de programme (santé, éducation, etc.) du gouvernement s'élèvent à 10 300$ par année en Alberta. Depuis 10 ans, la hausse moyenne de ces dépenses a été de 7,3% par année, bien davantage que la croissance de la population combinée à l'inflation (4,3% par an).

En comparaison, les dépenses de programme par habitant sont de 7700$ au Québec et de 8400$ en Ontario, estime VMBL. Il n'a pas été possible de comparer le niveau de services offerts aux Albertains par rapport aux Québécois.

En somme, l'Alberta a largement profité du pétrole, mais elle gère ses finances de façon très serrée. Pour le Québec, ce mode de gestion ne change pas grand-chose, à proprement parler. Par contre, la chute des revenus pétroliers affectera tôt ou tard nos revenus, par l'entremise de la péréquation.

La péréquation est en quelque sorte un programme de redistribution de la richesse entre les provinces. Si l'Alberta tire moins de revenus pétroliers et s'appauvrit, les provinces bénéficiaires de la péréquation recevront moins d'argent. Impossible de mesurer encore précisément l'impact.

C'est dans ce contexte que la recherche de nouveaux clients par les compagnies pétrolières albertaines, notamment vers le Québec, prend tout son sens pour les Québécois. Encore un arbitrage difficile en vue entre l'argent et l'environnement...