Le phénomène est unique. Deux jumelles identiques du Québec, deux vraies «bolles», qui sont professeures de biologie à l'une des universités les plus prestigieuses au monde: Harvard.

Pas de doute, je me devais de rencontrer Rachelle et Suzanne Gaudet et me rendre à Cambridge, petite ville magnifique voisine de Boston. Surtout dans le contexte du Sommet sur l'enseignement supérieur au Québec, où la qualité et le financement des universités sont au coeur des préoccupations.

Nous avions rendez-vous rue Oxford, mercredi en fin d'avant-midi. J'ai eu le temps de parcourir le campus, composé de plusieurs bâtiments typiques de briques rouges et brunes. L'endroit, dont les origines remontent au début du XVIIe siècle, est charmant.

La rencontre de quatre heures a finalement passé en coup de vent. Et bien que les jumelles soient uniques, leur parcours fait réfléchir sur le contexte dans lequel évoluent nos grandes universités.

Pour recruter des professeurs, ces universités ne choisissent pas entre des candidats de Montréal, de Trois-Pistoles ou même Toronto, mais entre des «bolles» de partout dans le monde. Dans ce marché des super cerveaux, la concurrence est féroce.

Avant de trop se flageller, soyons honnêtes: la spécialisation des titulaires d'un doctorat fait en sorte que le Québec ne peut et ne pourra jamais embaucher tous ses cerveaux. L'objectif est d'en perdre le moins possible, surtout ceux qui cadrent dans nos champs d'expertise, et d'en attirer de l'extérieur. Il reste que dans plusieurs disciplines demandées, nos recruteurs s'arrachent les cheveux.

Dans le cas de Rachelle et de Suzanne Gaudet, toutefois, le Québec a manqué le coche. En 2001, Rachelle avait le choix. Après avoir postulé dans une quarantaine d'universités du Canada et des États-Unis, elle a reçu trois offres: Michigan, Harvard et McGill.

«J'aurais préféré Montréal à Boston. J'aime beaucoup les gens de McGill. Et mon conjoint, un Américain, était prêt à suivre», a raconté la chercheuse de 40 ans.

La qualité des étudiants penchait un peu en faveur de Montréal. «Le cégep prépare très bien à l'université. Les étudiants sont un peu plus vieux et plus avancés. Ceux des collèges américains viennent directement du secondaire. Les étudiants de Harvard ont tout de même été sélectionnés et sont forts», explique Rachelle.

Le salaire de départ à Harvard était d'environ 10 000$ de plus qu'à McGill et grimpait plus vite, mais ce n'est pas ce qui a fait pencher la balance. L'élément déterminant a été le soutien à la recherche. À McGill, le département de biochimie est moins diversifié. Et surtout, le fonds de départ qu'on accordait à Rachelle, 300 000$, était presque deux fois moindre qu'à Harvard. Rachelle a donc choisi Harvard, où elle est maintenant professeure de biologie moléculaire.

Le Québec semble encore avoir raté une occasion en 2008, cette fois avec Suzanne Gaudet. La chercheuse, de nature réservée, venait de terminer son post-doctorat en biologie au Massachusetts Institue of Technology, à Cambridge, après son doctorat à l'Université Harvard. Au MIT, elle avait travaillé pour intégrer des outils de génie et d'informatique à la biologie.

Après deux entrevues à McGill, la réponse a été décevante. «On m'a laissé entendre que je pouvais faire un stage postdoctoral, mais ce n'était pas intéressant. C'était un peut-être (pour devenir prof-chercheuse)», dit-elle.

Quelques mois plus tard, Suzanne a décroché un emploi dans un centre hospitalier affilié à l'Université Harvard, le Dana Farber Cancer Institute, où elle est devenue professeure associée en génétique.

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Depuis leur tendre enfance, Rachelle et Suzanne sont des rats de bibliothèque. «Nos parents nous ont appris à être curieuses», disent humblement les deux soeurs, dont le père est lui-même titulaire d'un doctorat en économie et ancien professeur d'université.

Au Québec, elles ont fait toutes leurs études au public. Elles ont fréquenté l'école secondaire Les Compagnons de Cartier et plus tard le Cégep de Sainte-Foy, dans la région de Québec, et le Collège Édouard-Montpetit, à Longueuil. Par la suite, elles ont fait leur bac en biologie à l'Université de Montréal.

Leurs notes font pâlir d'envie. Au bac, Rachelle a terminé avec une moyenne de 4,24 et Suzanne, de 4,26. Pas sur 5, mais sur 4,3! Traduction: moyenne générale de A plus. Bref, des filles super brillantes.

Avec de telles notes, toutes les universités américaines leur étaient ouvertes pour le doctorat (l'étape suivant le bac aux États-Unis). Rachelle a ainsi abouti à l'Université Yale et Suzanne, à Harvard. Leur doctorat ne leur a rien coûté.

Quand on leur parle du printemps érable, elles sont perplexes. «Une fois rendu au bac, ça vaut la peine d'investir pour étudier. C'est comme acheter une maison», dit Rachelle.

Les deux jugent important que les droits de scolarité demeurent raisonnables, comme au Québec, mais doutent de la pertinence de la gratuité. «Avec la gratuité, on perd la perception de la valeur. On banalise les études», dit Suzanne.

Selon elles, la qualité est un enjeu central. Quand elles étudiaient au bac à Montréal, certaines classes comptaient 250 étudiants pour un chargé de cours. À Harvard, un professeur peut avoir 200 étudiants dans sa classe, mais il est appuyé par une dizaine d'assistants.

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Rachelle et Suzanne n'ont pas quitté le Québec par dépit. La région de Boston et ses 70 collèges leur offre un milieu stimulant, mais elles s'ennuient de notre vivacité culturelle, de nos étés festifs, et bien sûr, de leurs amis et parents du Québec.

Elles ne s'en cachent pas: elles tiennent à leur langue et craignent de la perdre, comme certains de leurs cousins acadiens. Rachelle cherche d'ailleurs souvent ses mots en français, ai-je pu constater, bien davantage que Suzanne, dont le conjoint est Québécois. Pour préserver sa fille de 6 ans, Suzanne lui fait suivre quatre heures de cours de français par semaine, donnés par une association de parents francophones de la région de Boston.

Les deux y penseraient sérieusement si elles recevaient une offre pour travailler au Québec. Toutefois, comme Rachelle a obtenu sa permanence à Harvard et entame son programme de recherche, une telle éventualité n'est pas envisageable avant quelques années.

Même son de cloche de Suzanne. «J'y penserais fort. Mais avec un laboratoire de recherche, c'est plus compliqué. Il faudrait que je déménage le projet et l'équipe de recherche», dit-elle.

En attendant, elles se considèrent comme des ambassadrices du Québec. Rachelle est membre associée du GEPROM, un groupe de recherche avec des profs des universités de Montréal, McGill et Laval. Elle se dit d'ailleurs très ouverte à des échanges d'étudiants avec des universités canadiennes, notamment de Montréal.

Pas de doute, je me devais rencontrer les jumelles Gaudet. Souhaitons que les invités du Sommet sur l'enseignement supérieur soient du même avis.