Jugeriez-vous de la qualité d'un quartier résidentiel en regardant simplement la photo d'une maison? Bien sûr que non. Surtout si vous avez entendu dire que le secteur compte une piquerie et qu'une usine y fabrique du bruit.

C'est pourtant l'exercice que nous demandent de faire, en quelque sorte, de nombreux organismes publics du Québec avec leur situation financière. Plusieurs cégeps, commissions scolaires, hôpitaux et universités n'offrent qu'une vue partielle de leurs finances en publiant des documents incomplets.

Le rapport annuel est souvent accessible sur l'internet, mais les états financiers y sont publiés sans le rapport du vérificateur externe et sans les notes aux états financiers. Bref, on voit bien une maison, mais il n'est pas possible de connaître l'état des fondations et encore moins la nature des voisins. On parle pourtant d'organismes qui gèrent plusieurs milliards de dollars de fonds publics!

Par exemple, le cégep de Sorel-Tracy publie un rapport annuel sur son site, avec un état de la situation financière. Le document ne compte toutefois pas de bilan, ni d'opinion du vérificateur comptable, pas plus que les notes aux états financiers. Au cégep de Saint-Jérôme, c'est pire: la situation financière tient sur une demi-page et c'est un pur charabia.

Situation semblable pour les hôpitaux et les universités. Par exemple, à l'Institut de cardiologie de Montréal, on a publié un bilan et un état des résultats sur le site internet, mais les notes aux états financiers et l'opinion du vérificateur externe sont absentes.

À l'Université Laval, on n'a pas davantage cru bon de donner l'opinion du vérificateur externe et d'insérer les notes aux états financiers. Et on demande une hausse des droits de scolarité!

Demandez à n'importe quel comptable: les notes aux états financiers sont essentielles à la compréhension des états financiers. Elles permettent souvent de faire la lumière sur des dépenses apparemment anodines ou de comprendre les dessous d'une décision difficile. Personnellement, c'est grâce à ces notes que j'ai flairé le scandale qui couvait derrière Mount Real, en 2005, cette organisation alors inscrite en Bourse qui a fait perdre 130 millions de dollars à quelque 1600 investisseurs.

Les entreprises en Bourse sont bien entendu soumises à des normes sévères de divulgation de l'information financière. En ce qui concerne les états financiers annuels vérifiés, ils doivent être déposés au plus tard 90 jours après la fin de l'exercice et comprendre l'état des revenus et des dépenses, celui des flux de trésorerie et, évidemment, les notes aux états financiers. Le document doit être transmis aux actionnaires et publié sur le site SEDAR.

Bien souvent, si les états financiers sont publiés en retard ou si le vérificateur externe exprime une réserve, l'action de l'entreprise plonge en Bourse parce que les investisseurs y voient de l'incertitude.

Concernant les organismes publics, la présentation des états financiers est régie par des normes strictes du Conseil sur la comptabilité dans le secteur public (CCSP). Ces normes permettent d'uniformiser les règles, de façon à pouvoir comparer deux années ou deux organismes semblables (deux cégeps, deux universités, etc.).

Il est tout de même possible d'obtenir les états financiers complets des organismes publics du Québec, mais le travail est souvent ardu. Ceux des universités sont déposés à l'Assemblée nationale et peuvent être consultés à la bibliothèque de cette institution. Mais à l'ère de l'internet, pourquoi ne pas les publier intégralement sur leur site?

Ceux des hôpitaux sont intégrés aux états financiers des agences de la santé et aussi déposés à l'Assemblée nationale. Bonne nouvelle dans leur cas: depuis le 1er février, la Loi sur la santé et les services sociaux les oblige à publier leurs états financiers complets sur leur site internet. Les premiers paraîtront au plus tard le 30 juin.

Quant aux cégeps et aux commissions scolaires, rien ne les oblige à rendre publics leurs états financiers dûment vérifiés. La Loi sur l'instruction publique n'exige qu'un résumé. Les commissions scolaires sont pourtant gérées par des élus et leur budget avoisine les 10 milliards de dollars! De leur côté, les cégeps ont des revenus de 1,9 milliard.

«C'est inacceptable. Ce sont des organismes publics, financés par l'État. Et en plus, certains sollicitent des dons. Avec ce qui se passe au Québec, il faut rendre aisément publics non seulement des extraits, mais des états financiers signés par un vérificateur indépendant. C'est ça, rendre des comptes», dit le professeur Michel Magnan, de l'Université Concordia, qui est l'un des neuf membres du Conseil des normes comptables du Canada.

Les universités, les établissements de la santé, les cégeps et les commissions scolaires gèrent des budgets de 36 milliards. La moindre des choses serait qu'on sache précisément comment est géré notre argent.

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BUDGET DE CERTAINS ORGANISMES PUBLICS