Imaginez le scénario: Patrick Huard déménage en Alberta parce qu'il en a soupé des impôts du Québec. Imaginez les réactions. Ce serait fou...

Pauline Marois traiterait Huard d'«assez minable», comme l'a fait le premier ministre français Jean-Marc Ayrault avec Gérard Depardieu. Amir Khadir crierait au scandale. On rappellerait les sautes d'humeur de Huard à propos des vols en avion en classe économique. Et bien des Québécois inciteraient au boycottage des films et des spectacles du populaire chauffeur de taxi Rogatien.

Le geste de Depardieu est odieux, comme le serait celui de Huard. L'acteur français a fait sa fortune grâce à l'argent des cinéphiles français, mais surtout grâce aux subventions de l'État, le cinéma français étant, comme ici, largement subventionné.

L'indignation des Français est donc tout à fait compréhensible. Elle ne change toutefois rien à l'aspect économique de l'affaire: la mesure fiscale proposée par l'État français est totalement irresponsable.

L'an dernier, le gouvernement du président François Hollande a annoncé son intention de faire passer le taux maximum d'imposition d'environ 45% à 75%. Ce taux devait s'appliquer aux revenus des particuliers excédant 1 million d'euros (environ 1,3 million de dollars).

C'est dans ce contexte que Gérard Depardieu a acheté une résidence en Belgique, à la frontière de la France, avec l'intention de se soustraire aux impôts français (le taux maximum en Belgique est de 50%, selon KPMG). L'acteur qui a incarné Cyrano de Bergerac est même invité à s'installer en Russie, où le taux est de 13%. Ce faisant, il pourrait espérer économiser 620 000 euros pour chaque tranche de 1 million d'euros de revenus annuels!

À la fin de décembre, l'impôt de 75% a été invalidé par le Conseil constitutionnel français pour des raisons techniques. Le gouvernement Hollande a toutefois annoncé son intention de conserver l'esprit de cette taxe de 75% et de s'adapter aux normes du Conseil constitutionnel.

Plus encore: il envisage maintenant d'étendre son application sur cinq ans plutôt que deux ans ou, pire, de rendre permanente la mesure exceptionnelle. «Le temps que dure la crise», a-t-il annoncé.

Le geste de Depardieu est peut-être odieux, les citoyens peuvent faire des manifestations, bloquer des rues ou même porter un carré rouge, rien n'y changera. Un État qui impose un tel taux agit de façon totalement irresponsable.

Certes, le principe d'une contribution plus importante des riches est tout à fait louable. Mais la France n'évolue pas en vase clos, elle est entourée de voisins qui ont des politiques fiscales concurrentielles.

Un tel taux de 75%, même s'il devient conforme au Conseil constitutionnel, provoquera nécessairement le départ de fortunés vers des contrées fiscalement plus avantageuses. Au détriment, bien sûr, de l'état qui impose un tel taux et de ses citoyens. Pour un Gérard Depardieu archiconnu, il y a des centaines de gens d'affaires qu'une telle imposition incite à plier bagage... et à emporter leur magot et leur dynamisme.

Au Québec, l'arrivée de Pauline Marois et de son ministre Nicolas Marceau a provoqué des réactions semblables, l'automne dernier. Le gouvernement péquiste a d'abord annoncé son intention de faire passer le taux d'imposition maximum de 48,2% à 55,2%, avant de faire marche arrière. Pire: l'impôt sur le gain en capital devait être augmenté de façon rétroactive, c'est-à-dire pour les transactions précédant l'arrivée du Parti québécois (PQ).

À Montréal, les fiscalistes ont été inondés d'appels. L'un d'eux nous a raconté qu'un de ses clients, un entrepreneur, se préparait à partir pour l'Alberta. Pourquoi? Parce que cet homme d'affaires avait vendu son entreprise au cours des mois précédents, entreprise bâtie à la sueur de son front pendant des années.

L'impôt rétroactif du PQ lui aurait coûté des millions de dollars d'impôts additionnels. En déménageant en Alberta avant le 31 décembre, date de la déclaration de revenus, l'entrepreneur désormais à la retraite aurait pu se soustraire complètement aux impôts québécois. Le Québec aurait non seulement perdu la part d'impôt additionnelle réclamée rétroactivement, mais la totalité de l'impôt provincial sur le gain en capital, qui serait alors devenu payable à l'Alberta.

Bien des riches sont allergiques aux impôts, mais, contrairement à la croyance populaire, la plupart sont disposés à payer leur part, encore faut-il qu'elle soit juste. À 75%, elle ne l'est plus. Et au Québec, il n'y a pas de doute qu'un taux maximum de 55% aurait eu des conséquences néfastes, compte tenu du taux exigé par nos voisins (39% en Alberta, 43% au Nouveau-Brunswick et 48% en Ontario).

La décision du gouvernement péquiste de faire marche arrière, en plafonnant le taux à 50%, a donc été bien avisée. Espérons que le PQ se garde de changer d'idée s'il devient majoritaire. Même si Patrick Huard choisit de rester ici.