Le premier ministre Justin Trudeau a pris, cette semaine, sa première décision vraiment difficile en tranchant dans le dossier très controversé de la construction de pipelines pour le passage du pétrole albertain. Le résultat, une politique qui ne sera pas consensuelle, qui suscitera du mécontentement, mais qui repose sur un solide équilibre.

L'équilibre ne tient pas seulement au fait que le gouvernement Trudeau a coupé la poire en trois, en disant non au projet de Northern Gateway, qui traversait le nord de la Colombie-Britannique, et en disant oui à l'augmentation de la capacité de deux pipelines existants, vers le port de Vancouver et vers le Manitoba et le Midwest américain.

L'équilibre, on le retrouve surtout dans l'argumentaire du gouvernement, qui énonce de façon très claire et très ferme sa vision des liens complexes entre énergie et environnement.

Au Québec, on pourra espérer que ce double feu vert, en donnant plus de debouchés extérieurs au pétrole albertain, rendra le projet Énergie Est moins nécessaire. J'ai plutôt l'impression qu'avec sa nouvelle grille d'analyse, qui comporte trois messages forts, Ottawa aura plutôt tendance à vouloir que le pétrole de l'Ouest puisse aussi compter sur des débouchés à l'Est.

Le premier message du gouvernement Trudeau, c'est le choix de soutenir la croissance de la production pétrolière. « J'ai répété plusieurs fois qu'aucun pays dans le monde qui trouverait des milliards de barils de pétrole ne les laisserait enfouis dans le sol alors qu'il existe un marché pour eux », a déclaré le premier ministre lundi lors de l'annonce de sa décision. Ça ne peut pas être plus clair.

Ce choix de la croissance va évidemment à l'encontre de ce que prône l'ensemble du mouvement écologiste opposé à tout projet qui accroît la production de pétrole ou la facilite. 

Cette opposition, à forte charge symbolique, suscite une assez grande sympathie au Québec en vertu de ce que j'appellerais l'angélisme géographique. Plus on est loin des puits de pétrole, plus il est facile de dire non au pétrole.

Le deuxième choix du gouvernement Trudeau, c'est son refus d'opposer, comme le faisait le gouvernement Harper, l'économie et l'environnement. Cela avait mené au débat manichéen des dernières années, avec d'un côté les partisans de la production à tout prix sans souci pour les conséquences environnementales et de l'autre, une logique de moratoire, d'opposition à tout développement pétrolier.

La voie choisie par le gouvernement libéral, c'est celle du compromis, moins pure, plus complexe. On sait que le pétrole est appelé à disparaître, mais on veut profiter de sa contribution économique pour créer des emplois et de la richesse pendant la longue phase de transition, notamment pour dégager les ressources colossales qu'exigera cette transition.

Cette logique n'est toutefois acceptable que si elle ne compromet pas le combat contre les changements climatiques. Mais le Canada a signé l'accord de Paris et vise une réduction de 80 % de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2050. Ottawa a fait les premiers pas en décidant, enfin, de mettre un prix sur le carbone. Si le Canada est capable de produire plus de pétrole, y compris celui des sables bitumineux, tout en respectant ses cibles de réduction de GES, il aura atteint l'équilibre. C'est cette démonstration qui reste à faire.

Cette façon de voir les choses change par ailleurs la nature du débat sur les pipelines. Et c'est là que je vois un troisième message, le désir de M. Trudeau de prendre ses décisions en s'inspirant « de la science et de données probantes ».

Au Québec, par exemple, le débat sur le projet Énergie Est porte moins sur le pipeline lui-même que sur le pétrole « sale » de l'Ouest. Avec comme résultat que la pureté de la cause nous a progressivement éloignés de la réalité des faits. Cela permet de dénoncer les risques, pourtant minimes, de ce pipeline, même s'il s'agit d'un mode de transport du pétrole beaucoup plus sécuritaire que les convois ferroviaires.

Cela permet de brandir des chiffres - 3000 plans d'eau menacés au Canada, menace pour l'eau potable de cinq millions de Canadiens - qui reposent sur une façon bien simpliste d'aborder la question des risques. Avec la même logique, on pourrait dire que trois millions de citoyens de la métropole montréalaise sont menacés par l'effondrement d'un pont.

Il y a 825 000 kilomètres de pipelines au Canada, dont 100 000 kilomètres de gros tuyaux de transmission, et pourtant, il n'y a pas de pétrole dans nos robinets.

Le risque le plus souvent évoqué dans le cas des pipelines, les fuites dans un plan d'eau, se gère par des normes, des inspections, des technologies.

On oublie, par exemple, qu'il s'est construit très récemment, en 2012, un gros pipeline de 250 kilomètres entre Saint-Romuald et Montréal-Est avec une connexion sous le fleuve, sans grand débat de société. Il y a eu des débats là où ils devraient avoir lieu : village par village, cours d'eau par cours d'eau, pour régler les problèmes un à un.