Il y a quelques années, la province qui claquait la porte des rencontres fédérales-provinciales, c'était le Québec. Mais lundi, ce sont les ministres de trois autres provinces, la Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse, qui ont quitté en colère une réunion des ministres de l'Environnement à Montréal.

Ce n'est pas parce que le Québec est devenu moins combattif, mais parce que les problèmes de la fédération canadienne ne sont plus les mêmes. La principale ligne de fracture du fédéralisme n'est plus entre le Québec et le Canada anglais, mais entre les provinces productrices de pétrole et les autres. Ce sera l'un des grands défis du gouvernement Trudeau.

Et lundi, le premier ministre a sans doute commencé à passer son premier vrai test. Justin Trudeau, qui croit au dialogue et qui cherche les consensus, a jusqu'ici concentré ses énergies sur des initiatives jouissant a priori d'un vaste soutien. Mais en énergie et en environnement, il n'y a pas de consensus et on ne peut pas compter sur une « conversation » pour arranger les choses. Quand il a annoncé qu'il imposerait une taxe sur le carbone à partir de 2018 aux provinces qui n'ont pas mis en place un système pour mettre un prix sur le pétrole, il a donc provoqué un vent de colère chez les provinces productrices de pétrole et de gaz.

Cette fracture, à un premier niveau, s'explique par le clash entre l'économie et l'environnement. 

Le Canada est une puissance pétrolière et gazière, qui a besoin de cette industrie pour soutenir sa croissance - on l'a vu avec l'impact sur l'économie de la chute des prix du pétrole. 

Cette production engendre des émissions de gaz à effet de serre élevées, surtout qu'une partie de celle-ci, issue des sables bitumineux, a un impact négatif plus grand. Le Canada doit aussi participer au combat mondial contre le réchauffement climatique, un engagement renouvelé par la signature de Justin Trudeau à l'accord de Paris il y a deux semaines.

Mais il n'y a pas que cette fracture énergétique entre provinces productrices soucieuses de maintenir leur production et leur niveau de vie et provinces préoccupées par le réchauffement. L'essor pétrolier a aussi mené à une fracture économique, en redéfinissant qui, au Canada, est une province riche ou une province pauvre. Ainsi qu'à une fracture politique, avec un déplacement du rapport de forces en faveur de l'Ouest qui a mené à la décennie Harper.

Pour une puissance énergétique comme le Canada, concilier croissance économique et lutte contre le réchauffement climatique, c'est la quadrature du cercle, que personne n'a pu résoudre depuis 20 ans. Le gouvernement Chrétien a adhéré avec pompe à l'accord de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre, en 1997, mais sans rien faire pour les réduire. Les libéraux, avec Stéphane Dion, ont proposé une taxe sur le carbone, assez mal vendue pour tuer le concept pendant une décennie. 

Les conservateurs de Stephen Harper, après avoir nié la réalité d'un réchauffement provoqué par l'homme, ont soutenu par-dessous l'industrie pétrolière en évitant tout débat sur la question.

Justin Trudeau se retrouve donc à la case départ, avec deux décennies perdues à rattraper.

Ce vide a heureusement été comblé, en partie, par les provinces - le Québec avec son marché du carbone auquel l'Ontario a adhéré, la Colombie-Britannique avec sa propre taxe sur le carbone tout comme l'Alberta, depuis qu'elle est dirigée par la sociale-démocrate Rachel Notley. La résistance se confine maintenant à trois provinces plus petites, plus dépendantes de cette ressource.

Le geste qu'a fait M. Trudeau était essentiel, un premier pas absolument incontournable, parce que c'est en mettant un prix sur le carbone d'une façon ou d'une autre qu'on peut réduire la croissance de la consommation, faire payer les émetteurs de GES, financer la recherche pour réduire les émissions. Le premier ministre l'a d'ailleurs fait de façon moins intrusive qu'il n'y paraît. La taxe  - 10 $ par tonne en 2018, qui augmentera de 10 $ par année jusqu'à 50 $ en 2022 - sera reversée aux provinces et ne sera pas imposée si celles-ci se dotent de leur propre système.

Mais ce premier pas n'a de sens que s'il est suivi d'une vraie politique, qui consistera à trouver le point d'équilibre - s'il existe - pour concilier une certaine croissance de l'activité pétrolière et le respect des engagements de réduction des GES de l'accord de Paris.

Un tel équilibre, s'il exige d'importantes concessions des provinces productrices, on le voit à leur réaction de cette semaine, exigera aussi des concessions des autres provinces, par exemple en acceptant le passage de pipelines. Il exigera que l'on s'attaque aux deux cultures du déni, celle qui consiste, surtout dans l'Ouest, à faire comme si le réchauffement climatique n'existait pas, et celle qui consiste, notamment au Québec, à croire que l'économie canadienne pourra se développer en se passant de cette ressource.